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  • Sarah, le bon-vivant, et la méditation

    • Le 22/11/2016

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv
     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 2

    Sarah, le bon-vivant et la méditation

     

    Le premier verset de la paracha 'Hayé Sarah a fait couler beaucoup d’encre, du fait de son apparente lourdeur. L’une d’entre elle est ce qui semble être une répétition inutile (Béréchit 23 :1) :


    וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה מֵאָה שָׁנָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה וְשֶׁבַע שָׁנִים שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה
    La vie de Sarah fut de cent ans, de vingt ans et de sept ans, [ainsi furent] les années de la vie de Sarah.


    La fin du verset paraît être superflue, « שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה » - « les années de la vie de Sarah » n’apporte rien. Le Netsiv s’arrête sur ce problème et le traite de la manière suivante. Tout d’abord, fait-il remarquer, le terme hébreu « 'hayim » que l’on traduit généralement par « vie » possède deux sens dans la Torah (Netsiv sur Béréchit 23:1):


     והנה כבר פירשנו כ״פ פי׳ חיים בלשה״ק בשתי משמעות. אחת חיים ולא מות. ב׳ שמח ועלז ולא עצבון.  
    Nous avons déjà expliqué cela à plusieurs reprises. La signification du mot hébreu « 'hayim » est double. 1) il s’agit de la vie par opposition à la mort. 2) il s’agit de la joie, l’allégresse par opposition à la tristesse.


    En somme, la fin du verset ne nous parle pas de la vie au sens simple, mais de la vie dans le sens de « bon-vivant ». En fait Sarah était ce qu’on appelle un « bon vivant ». Elle était joyeuse, elle aimait la vie. Et alors ? Qu’est-ce que cela nous apprend de profond à ce sujet ?
    Le Netsiv affirme que cela nous permet de répondre à une autre question. En effet, nos Sages disent que « אברהם היה טפל לשרה בנביאות » - « Avraham avait un niveau inférieur de prophétie par rapport à Sarah ». Or ceci est absolument incompréhensible ! Comme le note le Netsiv, D.ieu a parlé à Avraham à de nombreuses reprises, presque jamais à Sarah ! Ce qui amène le Netsiv à préciser la notion de prophétie. Il existe deux sortes de prophétie. Il y a la prophétie « classique » où D.ieu vient et parle à un individu. Et il y a ce qu’on appelle le « roua’h hakodesh » - « esprit saint ». Si Avraham dépassait Sarah dans la prophétie selon la première définition, Sarah, quant à elle, excellait dans sa seconde acception. Ce serait là le sens de cet enseignement de nos Sages. Le Nestiv définit alors le roua’h hakodesh : 


     רוה״ק הוא מה שאדם מתבודד ומשרה עליו רוה״ק ויודע מה שרואה. אמנם לא דבר עמו ה׳.  ן
    Définition du roua’h hakodesh : Lorsqu’un homme s’isole, médite et fait résider en lui l’esprit saint au point qu’il connaît ce qu’il voit, sans que D.ieu ne se soit adressé à lui. 


    Afin d’arriver à obtenir le roua’h hakodesh, il faut donc méditer au point d’arriver à connaître  ce qu’il voit (1). Cela me fait penser, en termes modernes, à la méditation pleine conscience. Pour y parvenir, affirme le Netsiv, il faut d’une part pouvoir s’isoler de longs moments – or Avraham n’en avait pas le loisir, il était trop occupé à répandre le monothéisme autour de lui – et d’autre part, être joyeux, comme le veut l’adage de nos Sages : « אין רוה״ק חל אלא מתוך שמחה » - « le roua’h hakodesh ne peut se manifester que par la joie ».

    Le Netsiv nous a donc offert deux scoops : 1) Sarah était une bonne vivante, et c’est grâce à cela que 2) elle excellait dans la pratique de la méditation  pleine conscience (2) !

    Cela étant dit, le Netsiv donne une deuxième réponse à sa question de départ. Je tiens à vous en faire part, même si elle n’a rien à voir avec la première réponse car elle montre à quel point on est influencé par nos lectures antérieures. Le terme « שְׁנֵי » - « années » peut aussi se traduire par… « deux ». Il n’y a donc aucune répétition ! La fin du verset nous dit que Sarah a eu deux vies, il y a eu sa vie avant la naissance d’Its’hak à ses quatre-vingt-dix ans. S’en est suivi, pour Sarah, une seconde vie de trente-sept ans.

    A méditer…
    Chabbat Chalom !

    NATY

    Notes :

    (1) Ce lien entre la « connaissance » et le « roua’h hakodesh », on le retrouve chez Rachi, cf. Chémot 35:31.

    (2) Je vous recommande Méditation Juive de Rav Aryeh Kaplan si toutefois si vous aviez des doutes quant au fait que les Juifs, de tout temps, ont pratiqué la méditation.

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

     

    העמק דבר בראשית פרק כג פסוק א
    שני חיי שרה. מיותר, ואין הלשון כן בכל מקום שמודיע הכתוב שני הצדיקים, והנה כבר פירשנו כ"פ פי' חיים בלשון הקדש בשתי משמעות, א' חיים ולא מות, ב' שמח ועלז ולא עצבון, כענין שאמרו ביומא דף ע"א א', שנות חיים ושלום שנים המתהפכות מרעה לטובה, וכן בארצות החיים פי' חז"ל (שם) מקום שוקים, תמן שובעא כו' [ירו' כלאים פ"ט ה"ג], וע' מש"כ בס' דברים פ' ואתחנן עה"פ ואתם הדבקים וגו'. ואחר כל זה יש להתבונן על מה שאמרו חז"ל שאברהם היה טפל לשרה בנביאות, ואין זה אלא תימא, האדם הגדול אשר דבר עמו ה' כ"פ, יהיה טפל לשרה שלא דבר עמה ה' כי אם דבור א' לא כי צחקת, ומפרשים ברבה שהוא דבר ה' לה, אלא הכונה הוא שהיה טפל ברוח הקדש, שהרי שני דברים הם, רוה"ק הוא מה שאדם מתבודד ומשרה עליו רוה"ק, ומכ"מ יודע מה שרואה ומדבר אז מדעת עצמו, אמנם לא דבר עמו ה', ונבואה הוא בחינה גדולה ורבה מזה כמו שביארנו. ודוד המלך ע"ה זכה לשניהם ואמר [ש"ב כ"ג ב'] רוח ה' דבר בי ומלתו על לשוני, היינו רוח ה' הוא רוה"ק המופיע על דבר עצמו, וגם מלתו על לשוני שהוא נבואה ממש. ואברהם היה גדול בנבואה משרה, אבל ברוה"ק היתה שרה מצוינת יותר מאברהם אבינו, והסיבה לזה הוא משני טעמים, א' שאברהם בצדקו היה מנהיג העולם ומדריכם לעבודת ה', וכמו שכתוב לפנינו נשיא אלהים אתה בתוכינו ויבואר בסמוך, ומי שעסקו עם המון רבה אינו יכול להתבודד כל כך, משא"כ שרה היתה יושבת באהלה בקדושה וטהרה, (וע' מש"כ הגאון חתם סופר בהקדמתו בזה דברים ראוים אליו ז"ל), שנית דאין רוה"ק חל אלא מתוך שמחה של מצוה, ושרה זה צדקתה להפלא שהיתה באמונתה בבטחון חזק מאד נעלה, כמו שמבואר ברבה שאמרה שרה לאברהם אבינו את בהבטחה ואני באמונה, ומי שבא מכח הבטחה ידוע מאמרם ז"ל אין הבטחה לצדיקים בעוה"ז שמא יגרום החטא, וע' מש"כ לעיל ט"ו ו', משא"כ שרה שהיתה חזקה באמונתה בלי שום הבטחה, על כן לא נתעצבה בכל ימי חייה והיתה שקועה ברוה"ק. וזהו דבר הכתוב שני חיי שרה, דשנים שלה כולם היו בחיי שמחה ונפש המעלה ונשגב בחיי רוחני, וכ"כ במדרש לקח טוב. וכענין שאמרו בגמ' [יבמות ס"ג ב'] מספר ימיו כפלים, כך אמר הכתוב דשני חייה היו שני פעמים, משום שהיו חייה עליזים וסמוכים בה' מבטחה. ונראה עוד לפרש ע"פ הפשט משמעות שני מספר שני, ובאשר שרה נעשית ילדה אחרי זקנתה וחזרה לספר חליפות השנים, וא"כ היה לה שני פעמים חליפות השנים, בראשונה חיתה תשעים שנה, ובשניה ל"ז שנים, וסך הכל שני חיי שרה היו מאה ועשרים ושבע שנים, וע' בעל הטורים. והא שקצרו שנותיה משך קצר ל"ז שנים, הוא ע"פ הליכות הטבע שחליפות חיי כל בריה הוא לפי ערך שנותיו, ושרה שנחלפה פתאם לחיי בחורים כן אזל ימי זקנה: 

  • Le pluralisme à tout prix ?

    • Le 15/11/2016

    Le pluralisme à tout prix ?

     

    Dispute 1

     

    Lors d’une rencontre interreligieuse à laquelle je participais, une auditrice de confession musulmane interpella le professeur de théologie musulmane aux côtés de qui j’intervenais. Ce professeur venait de présenter un exposé insistant sur les points communs entre le judaïsme et l’Islam. La jeune-femme lui fit remarquer que son discours avait de quoi laisser perplexe : si chaque religion représente une vérité révélée, pourquoi donc rester fidèle à sa foi ? Pourquoi ne pas adopter la foi de l’autre si celle-ci est tout autant digne de respect ? Cette remarque était aussi impertinente dans la forme qu’elle était pertinente dans le fond.

    Je pris la parole pour expliquer que de nombreuses divergences existent entre les religions. Certes il est important de connaître l’autre, quel qu’il soit, car la juste connaissance d’autrui est le meilleur ingrédient du vivre-ensemble. Mais la perception d’une sagesse chez l’autre ne doit pas occulter que certaines divergences théologiques ne sauraient trouver un accord. Cette problématique concerne les relations interreligieuses, ainsi que les débats théologiques au sein d’une même religion. Si les rencontres de représentants de diverses obédiences ont l’avantage de montrer que l’humain est une valeur partagée qui implique des attentions mutuelles, elles ont aussi un travers. Le non-dit et la censure volontaire des points de clivage peuvent aboutir à une apparence conventionnelle vidant les messages de leurs essences.

    Bien sûr, le Talmud fait l’éloge de la controverse avec les disputations des écoles de Hillel et de Shamaï. Si la loi est fixée selon l’enseignement de la première école, il n’en reste pas moins que « Les uns et les autres enseignent les mots du Dieu Vivant » (Erouvin 13b). Et pourtant… l’admission de plusieurs avis s’intègre dans des cadres bien précis, à l’instar de la foi en une loi orale révélée. Les Sadducéens, qui ne partageaient pas cette croyance, étaient stigmatisés par les Sages de la Michna. Leurs enseignements n’étaient en aucun cas considérés comme « les mots du Dieu vivant ». Le judaïsme n’est pas dogmatique, dans le sens que plusieurs voies sont offertes dans l’étude des textes, plusieurs interprétations. Non dogmatique dans son essence, il comprend toutefois certains dogmes spécifiques : croyance en la loi orale, résurrection des morts, transmission de la judéité par la mère, etc. Maïmonide lui-même, qui n’hésitait pas à appuyer ses démonstrations par certains arguments aristotéliciens, rédigea treize principes de foi sur lesquels aucun débat ne pouvait être admis[1].

    Or, à force de transformer le dialogue en une validation systématique des théories de l’interlocuteur, on en vient à diminuer la valeur de sa propre croyance, à la relativiser. C’est là une partie de la virulente critique qu’oppose Elihou aux trois premiers compagnons de Job, dans le livre biblique du même nom. Alors que chacun d’eux a échangé avec Job dans l’objectif de réfuter sa perception de la providence divine, le débat touche à sa fin : « Ces trois hommes cessèrent de répliquer à Job, parce qu'il se considérait comme juste » (Job 32, 1). Ils n’insistent pas pour défendre leur thèse, et cela met Elihou dans une grande colère : « Voyez, j'étais dans l'attente de vos paroles, je dressais l'oreille à vos raisonnements, espérant que vous iriez au fond des choses » (Job 32, 11). Une authentique recherche de vérité implique d’aller « au fond des choses », d’assumer que toutes les croyances ne sont pas interchangeables. Le pluralisme cesse d’être bénéfique lorsque l’acceptation de l’autre entraîne la négation de la spécificité de nos idées.

     

    Yona Ghertman

     

    * Billet publié dans l'hebdomadaire "Actualité juive", début Novembre 2016


    [1] Selon lui, aucun débat ne pouvait être admis sur ces principes de foi. Il va sans dire que l’aspect dogmatique des principes eux-mêmes fut sujet à controverse parmi les maîtres des différentes époques.

  • Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

    המכסה אני מאברהם אשר אני עושה

    "Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ?"

     

    . Les responsabilités du Père des Nations

    Dans la lecture de cette semaine, nous trouvons une « réflexion » de D.ieu : « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire ? »[1].  D.ieu prend la décision d’annoncer à Abraham ses projets de destruction de Sodome.  Rachi nous explique qu’il y a deux raisons à cela. D’une part, Abraham a reçu en promesse cette terre. En détruisant Sodome et ses cinq villes avoisinantes, D.ieu détruit donc des terres fertiles[2]  qui ne lui « appartiennent » pas. D’autre part, D.ieu a rajouté à Abram la lettre Heh, [3]transformant son nom en Abraham, Av Hamon Goyim Père d’une multitude de nations. Les habitants de Sodome et ses contrées, bien que provoquant le courroux de D.ieu par leur comportement, n’en demeurent pas moins les « fils » d’Abraham. Il convient d’annoncer à leur « père », aimé de D.ieu,  la décision prise d’effacer de la surface de la terre ces personnes.

    Ces deux raisons avancées par Rachi[4] prennent en compte le bien d’Abraham, le respect de ses (futures) possessions. Les raisons derrière cette nécessité qu’a D.ieu d’annoncer ses projets à Abraham, selon le Netsiv, est différente.

    Pour commencer, ainsi que nous l’avons vu, Abraham va être le Père d’une multitude de nations. Dans le futur, les Peuples se référeront aux prophètes du Peuple d’Israël  plutôt qu’a-leur propre modes de divination afin de savoir comment agir. Abraham étant la source de cette grande Nation parmi les autres que sera Israël,  se doit de savoir ce qui concerne ces autres peuples, qui sont ses contemporains, et ce dès maintenant[5].

    Ensuite, en tant que Père de ce qui sera le Peuple d’Israël, il a aussi le devoir de faire passer les fondations de ce peuple. Celles-ci se divisent en deux : le savoir que l’on acquiert à force d’étude et le moussar, les valeurs que l’on ne peut acquérir par l’étude mais par la transmission[6].

    Enfin, Abraham est Av Hamon Goyim, le Père d’une multitude de nations. Il est donc important de lui annoncer les projets divins non pas parce qu’il est  en « droit » de savoir ce qui va arriver à ses fils, comme l’énonce Rachi,  mais parce que Abraham a une responsabilité envers ces « fils ». Entendant la décision de D.ieu d’effacer Sodome et ses contrées, Abraham doit se sentir directement concerné et prier afin que sa requête d’épargner Sodome soit peut être acceptée[7].

    Ce dernier point rejoint ce que nous voyons après la faute du veau d’or. D.ieu dit à Moïse « hanikha li » -  cesse (de me solliciter) - afin que Je puisse effacer tout ce peuple et le reconstruire à partir de toi, qui m’est resté fidèle. Rachi, que la Netsiv rapporte,  avance le midrach et explique : nous ne voyons pas que Moïse ait déjà commencé à prier pour le peuple, donc que veut dire D.ieu en lui ordonnant de cesser ? Nous apprenons de là qu’Il lui a montré une ouverture, une faille dans le verdict énoncé : tout dépend de toi, si tu pries pour eux il est possible que Je ne mette pas en œuvre ma décision.

    Moïse, berger du Peuple d’Israël, a la même responsabilité qu’Abraham, Père des Nations envers le ou les peuple(s) qui dépend(ent) d’eux. Ainsi, non seulement ils ne peuvent rester indifférent face à un malheur qui est censé arriver, mais D.ieu lui-même les met au courant afin qu’ils puissent réagir.

    Lorsque D.ieu dis « Tairai-je à Abraham ce que je veux faire », il n’est donc pas uniquement question de politesse envers une personne dont les biens vont être détruits. Les trois raisons avancées par le Netsiv ne sont pas les droits qu’Abraham aurait, mais ses devoirs. En passant d’Abram l’hébreu qui a découvert le Maître du Monde et partage cette connaissance avec ses contemporains, à Abraham le Père d’une multitude de nations, en étant le Père de notre Peuple, ses obligations se multiplient et non ses droits.

    Un chef, un dirigeant, se doit de savoir ce qui se passe non seulement parmi les siens mais aussi chez ceux qui les entourent. Il ne peut se dissocier du monde.

    Il est responsable de faire en sorte que les valeurs passent. Qu’il soit question de celles de la famille, du groupe ou du peuple, il y a des messages qui doivent être transmis, des valeurs qui, si nous nous limitons à la connaissance seule, risquent d’être perdues.

    Et enfin, il doit faire preuve de sensibilité, se soucier du bien-être des autres, que ce soit ceux directement sous sa tutelle ou ses contemporains. Il n’est donc pas suffisant d’être au courant de ce qui se passe autour de lui, il lui faut aussi agir en fonction.

    En dévoilant à Abraham Ses projets, au-delà de ceux lui ayant trait directement, D.ieu montre à Abraham sa nouvelle place dans le monde. S’il restait la moindre possibilité qu’Abraham puisse rester dans la sphère privée, elle est effacée par cette phrase : « tairai-je à Abraham ce que je veux faire ». 

     

    Nathalie Loewenberg

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)


    [1] Genèse XVIII, 17

    [2] Genèse XIII,10

    [3] Genèse XVII, 5

    [4] Rachi Genèse XVIII, 17

    (יז) המכסה אני - בתמיה:

    אשר אני עושה - בסדום, לא יפה לי לעשות דבר זה שלא מדעתו, אני נתתי לו את הארץ הזאת, וחמשה כרכין הללו שלו הן, שנאמר (י יט) גבול הכנעני מצידון וגו' בואכה סדומה ועמורה וגו'. קראתי אותו אברהם, אב המון גוים, ואשמיד את הבנים ולא אודיע לאב שהוא אוהבי:

    [5].Haemek Davar, Genèse XVIII, 18

    .. וא"כ יהיו נברכים אוה"ע בו לדעת מה פעל אל, ומשום זה מהראוי שגם אברהם שורש אומה זו ידע ג"כ מה שיגיע לגוי הארץ בזמנו

    [6] Haemek Davar, Genèse XVIII, 19

    מש"ה כתיב ידעתיו שיהיה נכלל שתי כונת (...) באשר הוא יודע הרבה בעמלו כדי שימצא במה ללמד את בניו ואת ביתו, על כן ראוי לגלות לו ענין שיצא ממנו דבר מוסר מה שלא יוכל להגיע לידיעה זו ע"י עמל ויגיעה

    [7]  Haemek Davar, Genèse XVIII, 19

    שיהיה אב המון גוים וראוי לאב לחוש לקיומם, ואולי יועיל בתפליתו עבורם.

    En contraste, Noah lui n’a pas prié pour ses contemporains et s’est suffi du fait que lui et sa famille seraient sauvés. Il est intéressant de noter que le Netsiv dans le Har’hev davar explique le qualificatif « tamim » complet associé au tsadik qui décrit Noah. Le terme « complet » indique que la personne ne fait pas seulement le bien envers D.ieu mais aussi envers les autres. Au moment de lui ordonner de rentrer dans l’arche, D.ieu dit à Noah l’avoir vu comme étant juste, tsadik, parmi sa génération. Le terme « tamim » n’est plus présent. Rachi note que c’est dû au fait qu’on n’énonce pas toutes ses louanges devant une personne. Une autre explication allant dans la direction donnée par le Netsiv pourrait être que Noah savait que D.ieu avait prévu de faire venir le déluge, a préparé l’Arche selon Ses ordres, mais n’a pas prié pour essayer de sauver ses contemporains. En se dissociant du malheur sur le point d’arriver aux autres, même s’ils le méritent, Noah a « perdu » le côté « tamim », complet qu’il avait précédemment.

  • "Quelle image allons-nous donner ?"

    *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    « Quelle image allons-nous donner de notre religion ? »

    (Paracha Lekh-Lekha)

     

    « Loth aussi, qui accompagnait Abram, avait du menu bétail, du gros bétail et ses tentes. Le terrain ne put se prêter à ce qu’ils demeurassent ensemble ; car leurs possessions étaient considérables, et ils ne pouvaient habiter ensemble. Il s'éleva des différends entre les pasteurs des troupeaux d'Avram et les pasteurs des troupeaux de Loth ; le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays.  Avram dit à Loth : Qu'il n'y ait donc point de querelles entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens ; car nous sommes frères. Toute la contrée n'est-elle pas devant toi? De grâce, sépare-toi de moi (…) » (Béréchit 13, 6-9).

     

    Loth est le neveu d’Avraham (alors appelé "Avram"). Il existe manifestement une certaine affection du patriarche à l’égard de son parent, qu’il considère comme « son frère ». Néanmoins, des désaccords persistants rythment leur installation en terre de Canaan.

     Dans le texte, le Netsiv interroge une première redondance sur ce point : à deux reprises dans le même verset, il est fait état de leur impossibilité à vivre ensemble : « Le terrain ne put se prêter à ce qu’ils demeurassent ensemble ; car leurs possessions étaient considérables, et ils ne pouvaient habiter ensemble ». Sur le fond, la suite est difficile à comprendre : si les deux hommes ne parviennent pas à cohabiter, ce sur quoi cette dernière répétition vient insister, pourquoi ne se séparent-ils pas d’emblée ? En effet, ce n’est qu’après la querelle entre les bergers respectifs d’Avraham et de Loth que leur séparation deviendra effective, à l’initiative d’Avraham.  Notre commentateur soulève en outre une autre question : Quel est l’intérêt de mentionner en plein milieu du récit que « le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays », puisque nous savons déjà dans quel territoire se trouvent les deux hommes, et quels sont les peuples l’occupant ?[1]

    Selon le Netsiv, l’importance du bétail des deux hommes n’était pas la seule raison de leur séparation. Le texte montre certes dans un premier temps que cette situation est problématique, mais il répète dans un second temps que Loth et Avraham ne pouvaient vivre ensemble, c’est-à-dire, pour une raison autre : leurs natures opposées. Malgré tout, bien qu’Avraham perçoive Loth comme une charge à cause de leurs différences qui provoquent un malaise à chaque rencontre, ce n’est pas une motivation suffisante pour provoquer un éloignement entre eux.

    La dispute entre les bergers va être l’élément déclencheur de la séparation. Ce n’est pas la dispute en elle-même qui est le plus grave, mais que « le Cananéen et le Phérezéen occupaient alors le pays ». Pour Avraham, il est intolérable que les habitants de cette terre promise vivent côte à côte sans se disputer, alors que lui, représentant du Dieu unique au milieu des polythéistes, soit le protagoniste d’une rixe. Ceci constitue un ‘Hiloul Hachem (profanation du nom de Dieu) car ses voisins risquent de penser que c’est précisément sa foi spécifique qui est à l’origine de ses problèmes.

    Plus tard, lorsque Loth sera enlevé, Avraham ira à son secours, entendant que « son frère a été fait captif » (Béréchit 14, 14). L’affection est toujours présente, mais l’éloignement n’est en aucun cas remis en question. Une fois délivré, Loth et Avraham retournent chacun de leur côté. Le patriarche, modèle de bienveillance à l’égard des hommes, sait aussi établir une stricte séparation avec eux, lorsque la perception de sa foi, et donc du Dieu unique, risque d’être altérée. Mais au final, n'est-ce pas un acte de bonté envers ses proches parents de savoir établir une distance avec eux lorsque la proximité devient nocive pour chacun ?

     

    Yona Ghertman

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר בראשית פרק יג פסוק

    ו) ולא יכלו לשבת יחדו. הוא כפל לשון, ובא ללמדנו דלא משום שלא הספיקה מרעה הארץ לצאנם, כמו דכתיב להלן ל"ו ז' ולא יכלה ארץ מגוריהם לשאת אותם מפני מקניהם, אלא משום שהיו הטבעים רחוקים ולא היה לוט לצוותא לאברם כי אם מרחוק, אבל יחדיו לא יכלו לשבת, ובאשר היה רכושם רב היו מוכרחים לפגוע זה בזה, והיתה פגישתם למשא על אברם, ומ"מ לא מצא אברם עדיין לב להגיד לו להפרד עד שהגיע,

     ז) ויהי ריב. אירע מעשה שהיה לחרפה וחלול השם שהיה ריב בין הרועים, ותניא בספרי פ' תצא כי יהיה ריב בין אנשים וגו' אם בן הכות הרשע, אין שלום יוצא מתוך מריבה וכה"א ויהי ריב בין רועי וגו', מי גרם ללוט לפרוש מן הצדיק הוי אומר זו מריבה, וכה"א ועמדו שני האנשים וגו' מי גרם לזה ללקות הוי אומר זו מריבה, פי' חז"ל דבן הכות הרשע הגיע עבור הריב שדבר קשות כל כך עד שהתבוננו השופטים שראוי ללקות, וכך הענין בלוט שיצאו דברים מפי הרועים שאינם כדאי לשומען, [וכונת הספרי אין שלום יוצא מתוך מריבה, שזה אינו כתוכחה דאיתא ברבה פ' וירא שתוכחה מביאה לידי שלום ואהבה, אבל לא כן ריב]:

    והכנעני והפריזי אז ישב בארץ. והיה חילול ה' בדבר שהרי ידעו גדולת וקדושת אברהם וביתו לשם ה', והנה המה הכנעני והפריזי יושבים בלי ריב ומחלוקת, ובין אברם ולוט יש ריב ויהא חילול השם לומר דאמונת אברהם מביא לזה, וזה הגיע שלא יכול אברם לסבול עוד:

     

     

     

     

     


    [1] On pourrait aussi demander pourquoi dans ce verset sont mentionnés « le Canannéen et le Phérézéen », alors qu’au début de la Paracha le texte mentionne exclusivement le Canannéen : «Abram s'avança dans le pays jusqu'au territoire de Sichem, jusqu'à la plaine de Môré; le Cananéen habitait dès lors ce pays » (Béréchit 12, 6). Le Netsiv ne posant pas cette question, nous ne la traiterons pas dans le cadre de ce billet. Nous invitons toutefois le lecteur à apporter sa réponse dans un commentaire sur le blog.

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  • La raison, l'observance ou les moteurs du bien agir

    • Le 02/11/2016

        *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

      Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    La raison, l’observance ou les moteurs du bien agir

     

    Shem, ‘Ham, Yafeth: le début de notre parasha ne faisait que citer les trois fils de Noa’h. Ce n’est qu’après un déluge longuement décrit, après la promesse de D.  faite à l’homme de ne plus détruire la terre et suite à Son injonction de ne pas, nous non plus, détruire la vie humaine, que ces trois personnages reviennent sur le devant de la scène.

    Noa’h plante une vigne dont il profite au point de se dénuder. ‘Ham accourt vers ses frères pour diffamer au sujet de son père[1]. Shem, suivi de Yefet, recouvrent leur père sans regarder sa nudité. Suite à quoi Noa’h se réveille et réagit face aux trois différentes intentions de ses fils devant la situation de leur père. Mis à part Rashi qui en s’appuyant sur le Midrash s’arrête sur le verbe “vaya’hel” pour noter le tort de Noa’h[2], notre passage se concentre davantage sur les raisons et les torts de ses fils. D’après le Netsiv, cet épisode marque les distinctions essentielles entre trois types d’hommes qui habitent le monde[3], à savoir celui des hommes qui travaillent la terre, celui des hommes rationnels et intellectuels, et celui des hommes attachés au divin[4]. Aussi ces différences remontent-elles aux origines de la nouvelle humanité et prennent-elles leur source dans un même épisode auquel chacun a réagi différemment. À noter que le Netsiv établit des distinctions typologiques et non raciales.

    Nous aurions du mal à dérouler le raisonnement du Netsiv et le lien ainsi établi entre l’acte des fils et l’essence des trois descendances. Ceci étant, la première typologie d’hommes peu réfléchis et impulsifs tombe assez naturellement dans la descendance Cananéenne de ‘Ham. La différence entre Shem et Yafet vient quant à elle d’une “faute” grammaticale: “Vayika’h Shem va Yefet” – “Shem et Yefet prit [la couverture pour en recouvrir Noa’h][5]. Rashi sur place écrit: “Le verbe prendre est conjugué au singulier car Shem a accompli la Mitsva avec plus d’empressement”. Là-dessus le Netsiv n’est pas tout à fait d’accord: En quoi l’un s’est-il plus empressé que l’autre? Le fait est que les deux ont fini par porter la couverture! La réelle différence réside dans la nature de l’action de chacun: pour l’un il était question d’une Mitsva, pour l’autre il s’agissait d’éthique.

    Dans le cadre de la Mitsva, l’acte prend plus d’importance lorsqu’on l’accomplit nous-même que lorsqu’on nomme un intermédiaire pour le faire. Ce qui n’est pas le cas d’un acte rationnellement moral: du moment que quelqu’un s’occupait de recouvrir Noa’h, Yefet était satisfait. Il suffisait pour lui que l’ordre moral soit rétabli pour que le monde retrouve son cours normal. Shem voulait quant à lui accomplir une Mitsva, un acte d’un autre ordre. Ainsi a-t-il pris seul la couverture, puis, comme il ne parvenait pas à recouvrir seul son père, Yefet a dû l’accompagner (toujours par souci moral).

    Lorsque Noa’h se réveille de son ébriété, c’est la toute première fois qu’il s’exprime dans la Torah. Au Netsiv de noter que toutes ses paroles sont prononcées sous l’esprit divin, et que ses bénédictions à l’égard de Shem et Yefet sont prophétiques.

    Concentrons-nous sur celle de Shem: “Béni soit Hashem, D. de Shem”. Le Netsiv écrit que celui qui accomplit les choses par souci de la Mitsva fait résider le divin dans la nature. En d’autres termes, il s’associe ainsi au projet divin au point d’être relié à son Nom: “D. de Shem”. Comme on dira plus tard “D. d’Avraham, d’Its’hak et de Ya’akov”. Les Patriarches sont les prototypes du succès de cette entreprise, dont le point d’orgue se trouve dans la ligature d’Its’hak: Comment Avraham, alors connu dans le monde entier pour sa grande bonté et son humanisme, peut-il partir sacrifier son fils et accomplir ce qui est rationnellement immoral, pour la seule raison que D. le lui a demandé ? Cet épisode qui soulignera aussi la motivation profonde d’Avraham dans l’accomplissement des Mitsvot marquera une nouvelle fois l’emprunte de Shem, maître et ascendant d’Avraham.

     

    ESTHER

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    http://www.sefaria.org/Haamek_Davar_on_Genesis.9.27?lang=en


    [1] « Vayagued lichnei e’hav » - « Il a raconté à ses deux frères » [9 :22]. Le Netsiv fait remarquer que le verbe « lehaguid » ne signifie pas simplement relater les faits observés. Autrement on aurait vu apparaître le verbe « vayomer » - « Il dit ».

    [2] Rashi sur le verset 9 :20

    [3] Commentaire du Netsiv sur 9:18 et 9:20

    [4] Commentaire du Netsiv sur 9 :19

    [5] Verset 9 :23

  • Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...

    • Le 23/10/2016

      *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Deux arbres, la vie, la mort, le bien, le mal...

    La section de Béréchit est pour tout commentateur une gageure : l'histoire qui est racontée est connue de tous, mais elle ne parle plus. On parle d'un Eden disparu, mais à quoi sert-il de disserter sur ce qui n'existe plus ? Le commentaire du Nétsiv sur cette paracha est flamboyant, déployant toutes les ressources de la langue hébraïque ainsi que la richesse de la littérature talmudique, il renouvelle l'interprétation du texte, et n'hésite pas à se mettre en porte à faux avec les commentateurs 'autorisés' ou le Midrash. Ne montrons qu'un fil de ce commentaire.

    Le texte parle de deux arbres plantés dans l'Eden : « l'arbre du bien et du mal » ainsi que « l'arbre de la vie ». Il était interdit de manger ou toucheri au premier, alors que du second il n'est dit que peu de choses. Eve consomme de l'arbre sur les conseils du 'serpent' et Adam suit son épouse. A la fin, on retrouve subrepticement le second arbre : l'homme est chassé de l'Eden de « peur qu'il ne porte sa main aussi sur l'arbre de la vie ». On peut poser de nombreuses questions : d'où viendrait une telle crainte ? Si celle-ci est si importante, pourquoi n'était-il pas interdit dès le début d'en prendre ?... Plutôt que de répondre ponctuellement, il vaut mieux raconter l'histoire telle que l'a comprise le Nétsiv, en filigrane, c'est une réflexion sur la notion de vie, sur le sens de l'existence.

    Adam, création de Dieu, possède une « âme vivante »ii : ce qui signifie " qu'il est en possession de toutes les capacités possibles pour ce type de créatureiii." Cette plénitude consiste à avoir de l'affection pour son Créateur, jouissant de Sa Présence. C'est l'homme d'avant la faute. Cet homme devient un idéal à atteindre, et certains individusiv sont parvenus à cet état : le gan Eden est donc encore possible. Pour un tel homme, l'arbre de vie n'est pas nécessaire : nourri par 'la lumière de la face divine', comme Moïse sur le mont Sinaï, il vit éternellementv, sans soucivi. L'homme n'est évidemment pas privé de son libre arbitre dans un tel état. S'il mange de l'arbre de 'la connaissance du bien et du mal', il change de régime : il accède à un entendement humain et immanent, comprenant et ressentant ce qui est bon ou mauvais pour lui, mais aussi ce qu'il encourt en transgressantvii. Par cela son action est centrée autour de la crainte de Dieu, l'homme craint pour lui-même. « En cela, il ne jouit pas de Dieu, et ne reçoit pas son salaire de son vivant » ; c'est pour cet homme que Dieu a prévu « l'arbre de la vie et de la mort », sa consommation vient combler une forme de ratage dans le service divin. L'homme devient fini par la conscience de soi, il se détache d'un rapport à Dieu trop évident, trop direct, et c'est par le cheminement long et laborieux qu'il pourra à nouveau y accéder. Une question se pose alors : lorsque Dieu ordonna de ne pas consommer de l'arbre du bien et du mal, n'avait-il pas précisé « car le jour où tu en mangeras, tu mourras »viii, comment alors comprendre qu'Adam n'est pas mort, mais a simplement été chassé de l'Eden ? Le Nétsiv montre que la faute d'Adam n'était pas volontaire, en effet le texteix précise qu'il a été puni d'avoir écouté la parole de sa femme, et n'a pas dit 'car tu as mangé du fruit défendu'. Misogynie ? Notre auteur expliquex que son épouse l'a séduit, car après lorsqu'elle consomma le fruit « elle comprit qu'il serait bon qu'Adam soit aussi [dans l'aventure] du savoir humain, et non qu'il ne soit trop accroché à son Dieu, c'est pourquoi elle le séduisit » ! Le régime de l'amour de Dieu est fragile. Entrant dans une démarche plus laborieuse d'approche du divin, Dieu a souci de sa créaturexi, en le chassant, il le contraint à travailler la terre, le régime de la Crainte du Ciel doit être soutenu par le travail, en effet, comme le dit la Michnaxii ' le travail en complément de l'étude fait oublier de fauter'.

    La structure globale de cette histoire est complexe, et fait écho à la difficulté de ce qu'écrit le texte biblique. Pour ne retenir qu'un point : on comprend que notre auteur loin de voir une malédiction de l'espèce humaine dans la faute d'Adam, y voit au contraire la volonté d'accéder à un statut spécifiquement humain de compréhension, voie sans doute lente, mais qui donne sens à l'aventure humaine ainsi qu'à la nécessité du travail dans le sens le plus simple du terme. 

    Franck Benhamou

    .........................................................

    iVoir Emek davar en 2.17 et 3.3 , contre le Midrash rapporté par Rachi en 3.3.

    iiBéréchit 2.7.

    iiiLe Nétsiv fait remarquer que le mot mort peut s'entendre dans deux sens : soit il s'oppose à mort, soit il s'oppose à 'triste' ce qui signifie un état en dessous des capacités d'une créature. Il s'oppose en cela à l'interprétation d'Onkelos qui traduit -de façon un peu arbitraire- 'vivant' par parlant, ce qui brouille les cartes. Le Nétsiv rapporte un exemple de cet usage du mot 'vivant', mais il existe une pléthore de preuves qui limitent en ce second sens.

    ivComme 'Hano'h ou Eliaou selon la tradition.

    vCette assertion peut faire sourire : mais ce n'est pas le lieu de la discuter ici. Pour les sceptiques, rappelons que cela fait fond sur une réflexion ancienne et bien ancrée en philosophie, Spinoza écrira la même chose dans le chapitre 5 de son Ethique (scolie 36).

    viCommentaire sur 2.7.

    viiLe Nétsiv propose plusieurs formulations pour dire cela , notamment certaines particulièrement éclairantes : il parle d'une connaissance immanente ou naturelle (commentaire en 3.6).

    viii 2.16.

    ix3.17. ainsi que son commentaire ad loc.

    xHar'hev Davar sur 3.8.

    xiLe Nétsiv fait remarqué que la terre a été « maudite 'en faveur de l'homme' », le terme baavouré'ha étant exclusivement employé dans un sens positif.

    xiiAvot 2.2.

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

     

     

  • Vezot haberakha- Sim'hat Torah

    • Le 23/10/2016

         *Cycle : la Parasha selon le Nétisv

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a 1

    Vezoth-Haberah’a – Simh’at Torah

     

    Nous voilà arrivés à la fin du cycle de la Torah et, quasiment à la fin du cycle d’étude du Netsiv !

    Le commentaire du Netsiv sur tout le h’oumash se termine par une sorte de coquetterie de style… Coquetterie que nous ne résistons pas de vous faire partager…

    Les derniers versets de la Torah font l’éloge de Moshé qui fut un prophète inégalé tout le long de l’histoire du peuple d’Israël : « Plus jamais ne s’éleva en Israël un prophète comme Moïse, que Hachem a connu face à face, par tous les signes et les prodiges que Hachem l’avait envoyé accomplir dans le pays d’Egypte, contre Pharaon, contre tous ses courtisans et contre tout son pays, et par toute la main puissante et toute la grande terreur que Moise accomplit aux yeux de tout Israël. »

    Les derniers mots « aux yeux de tout Israël » sont explicités par le Netsiv. Si d’autres prophètes ont pu témoigner et faire prendre conscience de la présence divine et de son dévoilement sur terre, cette prise de conscience s’est limitée à leurs proches disciples… Le peuple entendait le message délivré par le prophète mais n’avait pas conscience d’un quelconque dévoilement divin lors de cette expérience… Avec Moshé ce fut diffèrent : au-delà du message prophétique qu’il a délivré, avec lui, les Bné-Israël ont eu, a plusieurs reprises, conscience d par eux-mêmes de la présence divine sur terre – que cela soit à travers l’expérience du Sinaï ou encore de la traversée de la mer rouge…

    Et pour reprendre les mots du Netsiv (et son effet de style…) qui closent son magistral commentaire sur la Torah : « voilà le but de la création : prendre conscience que bereshit bara elokim – qu’au commencement Dieu créa… »

    Benjamin Sznajder

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Texte :

    העמק דבר דברים פרק לד פסוק יב
    לעיני כל ישראל. דכל הנביאים שגרמו גלוי שכינה לא היה אלא לבני הנביאים תלמידי הנביא, אבל משה גרם גלוי שכינה לעיני כל ישראל בים סוף ובהר סיני ובאהל מועד, ומחמת זה היתה אהבת ה' כל כך אליו, שבזה הראה לכל אשר הוא ית' ברא העולם ומלואו, ומשום הכי בידו לעצור הליכות עולם, והוא ית' מנהיג עולמו, ומש"ה מראה אור פניו כביכול, וזהו תכלית הבריאה לדעת כי בראשית ברא אלהים: 

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Plaidoyer pour la recherche talmudique

         

    Plaidoyer pour une aide à la « recherche talmudique »

     

    Yona 1

     

    La reconnaissance des recherches talmudiques, domaine assez flou et peu institutionnalisé, est un défi majeur du judaïsme français. Dans les sciences concrètes, les recherches sont amplement financées par des fonds étatiques ou privés car les résultats escomptés le sont de tous. Qu’en serait-il des progrès de la médecine ou des nouvelles technologies si des érudits dans ces domaines n’avaient pas bénéficié de plages horaires conséquentes pour mener à bien l’avancée de leurs recherches ? Dans les matières plus abstraites, historiques, philosophiques ou littéraires, les aides institutionnalisées varient en fonction des pays, et sont souvent bien pâles comparées aux bourses accordées par ailleurs… Et pourtant… derrière les grands évènements de ce monde se profilent quasi-systématiquement des grandes figures de la pensée. L’étude de l’histoire politique ne peut se dissocier de celle des idées philosophiques ayant inspiré les hommes d’actions.

     Cependant, étudier dans l’objectif de penser puis d’écrire et d’éditer ses théories nécessite du temps. Ceci explique pourquoi de nombreux auteurs célèbres ne purent aboutir leurs œuvres qu’avec l’aide de généreux mécènes qui croyaient en eux. Voltaire, Diderot, Rousseau, pour ne citer que ces illustres figures des lumières, furent ainsi soutenus financièrement. Or leurs idées eurent une postérité bien concrète avec la Révolution française et la naissance de la République.

    Certes, de nombreux ouvrages voient régulièrement le jour en France, et les éditeurs se voient assaillis par des manuscrits de « pensée juive ». Mais qui juge de la qualité de ces travaux, et de l’intérêt qu’ils représentent pour l’évolution du judaïsme français ? Ne nous leurrons pas, un sujet se fondant sur des sources talmudiques ou midrashiques ne peut prétendre à la pertinence que si son auteur a lui-même parcouru les textes en hébreu et en araméen, s’il les a « étudiés » … Car la science talmudique ne s’acquiert pas par la « lecture », même dans la langue originelle, mais par une intégration des raisonnements, des nuances et des débats, grâce aux multiples niveaux d’interprétations construits par les commentateurs depuis les premiers siècles de notre ère jusqu’à nos jours. Ce n’est qu’en restant des heures à parler aux textes que ceux-ci peuvent être approchés, or à ce stade, la tâche ne fait que commencer pour l’écrivain. Il lui faut maintenant traduire des concepts rabbiniques en un langage moderne et engageant pour les lecteurs français. Ceci est un travail à temps plein, et le rythme d’une vie active ne peut l’assumer que difficilement, j’inclus ici celle des rabbins, dont les emplois du temps trop chargés ne laissent que peu de temps pour l’éclosion d’une véritable production intellectuelle digne de ce nom. Précisons que ce constat est spécifiquement français, car la subvention d’érudits qui étudient et publient est bien plus répandue ailleurs, comme par exemple aux Etats-Unis ou en Israël, où sont pensés et édités des outils d’apprentissage modernes et innovants (Artscroll ; Métivta ; Projet Responsa de Bar Ilan, etc.).

     Aussi la conclusion de mon discours est-elle en réalité un souhait : favorisons financièrement les auteurs désireux de penser le judaïsme dans la rigueur de l’étude talmudique et le souci de transposer les problématiques traditionnelles aux enjeux contemporains. S’il est concevable dans d’autres matières que les chercheurs puissent se consacrer librement à leurs travaux, ne serait-il pas juste que « nos chercheurs » puissent tout autant être libérés de leurs tracas matériels pour se consacrer à l’étude et à la diffusion dans l’intérêt général, lishma ?

     

    Yona Ghertman

    * Article paru dans l'hebdomadaire "Actualité Juive" en date du 29 Septembre 2016