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  • La Ménorah : l'esprit au-delà du politique

    • Le 12/12/2017

    La Ménorah : L’esprit au-delà du politique

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    Avant d’apparaître dans le Beth haMikdach (Temple de Jérusalem), il est fait mention de la Ménorah à propos de la construction du Michkan (Tabernacle), le ‘temple portatif’ qui accompagna les Hébreux dans le désert, après la sortie d’Egypte. On lit ainsi dans la paracha Térouma :

    « Et tu feras un chandelier d’or pur. D’une seule pièce sera fait le chandelier (…). Six branches sortiront de ses côtés : trois branches du chandelier d’un côté, et trois branches du chandelier de l’autre (…) le tout d’une seule pièce d’or pur. Puis tu feras ses lampes au nombre de sept ; on disposera les lampes, et on en dirigera la lumière du côté de sa face (…) »

    [Exode 25, 31-40]

    Si le texte de la Torah n’explique pas la signification de cet édifice majestueux, un premier indice se trouve dans le texte du Livre de Zacharie :

    « L’ange qui conversait avec moi revint ; il me réveilla comme un homme qu’on réveillerait de son sommeil. Et il me dit : ‘Que vois-tu ?’. Je répondis : ‘Je vois un chandelier tout en or, son récipient sur son sommet, ses sept lampes alignées, et sept conduits pour les lampes qui en couronnent le sommet. Puis deux oliviers à ses côtés, l’un à droite du récipient, l’autre à gauche’. Je repris et je dis à l’ange qui conversait avec moi : ‘Qu’est-ce que ces choses Seigneur ?’. L’ange qui conversait avec moi me répondit : ‘Quoi ! Tu ne sais pas ce que signifient ces choses ?’. Je répondis : ‘Non Seigneur’. Il reprit et me parla en ces termes : ‘Ceci est la parole de l‘Eternel à Zorobabel : Ni par la puissance ni par la force, mais bien par mon esprit !’ dit l’Eternel-Tsevaot »

    [Zacharie 4, 1-6]

    Historiquement, Zorobabel fait partie des dirigeants juifs qui revinrent de l’exil babylonien au 6ème siècle avant notre ère, et participèrent à la restauration de la vie juive en terre d’Israël, alors sous occupation Perse. C’est la période du second temple de Jérusalem.  Rachi explique que cette prophétie obscure a pour objectif premier de délivrer un message à Zorobabel : Tout comme les olives mûrissent d’elles-mêmes, l’édification du Temple ne sera pas le fait de la force physique, mais de la volonté divine, donc de la force de l’esprit.

    Cette explication doit être prise dans son contexte historique : Alors que les Bné-Israël avaient une autonomie politique lors du premier Temple de Jérusalem, ils vivaient sous la tutelle des Perses lors des débuts du Second Temple, jusqu’à l’époque de Hanoukah. Dieu délivre un message alors fondamental : la domination politique importe peu. L’essentiel est que la lumière de la Ménorah -et par là la lumière de la Torah- puisse pleinement briller sur son peuple.

    On remarque d’ailleurs, dans le même esprit, que plus tard, le miracle de Hanoukah ne se produisit pas après la victoire politique des juifs sur les grecs. Il se produisit trois ans avant que ces derniers connaissent la défaite militaire face aux ‘Hashmonaïm. Aussi la seule bataille qui est célébrée dans la tradition est-elle celle qui a permis de libérer le Temple de Jérusalem pour y rétablir le service divin, par l’allumage de la Ménorah. Le reste importe peu.

    Le Rav Elie Munk z’l remarque l’ironie de l’action de Titus, après la destruction du second Temple, qui s’empara de la Ménorah pour l’amener à Rome, croyant célébrer la victoire de la force militaire par cet acte. Il n’en est rien, car le symbole est tout autre : « La lumière qui brille sur la Ménorah nous apporte le message de la victoire de l’esprit sur les forces matérielles, et cet esprit est celui qui s’inspire de Dieu. Cette référence à Dieu nous apparaît symboliquement dans la Ménorah par le fait que les six lampes sont tournées vers la lampe mitoyenne, elle-même orientée vers l’ouest, où se trouve, dans le Saint des Saints, la résidence de la Che’hina (présence Divine) »

    [Méguila 21b ; La Voix de la Torah, l’Exode, p.314]

    On remarque ainsi, que contrairement à son utilisation politique postérieure, la Ménorah est l’inverse d’un symbole nationaliste. Elle représente une lueur d’espoir perpétuelle. Ses moults détails et les mystères qui l’entourent contribuent à démontrer que l’issue des évènements historiques dépend complètement de Dieu, qui anime Son plan à sa guise. Si l’on ne comprend pas tout, nous savons que la confiance que nous mettons en Lui constitue les prémices du travail de l’esprit.

     

    Yona Ghertman

     

    *Article publié dans l'hebdomadaire 'Actualité juive', Décembre 2017

  • Mechekh 'Hokhma Vayéchev

          Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

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    Parachat Vayechev

    Kislev 5778

     

    Cette paracha introduit un des récits les plus tragiques de l’histoire du peuple juif et met en valeur pour la première fois de l’histoire de l’homme une autre forme de direction Divine dans le monde.

    La Thora dans cette section relate la dispute des frères de Yossef, qui sera vendu à une caravane de nomades arabes qui l’amèneront en Egypte ou il y deviendra vice-roi après plusieurs mésaventures douloureuses. Chaque étape du parcours de Yossef en Egypte est jonchée de difficultés techniques, sociales, morales ou psychologiques mais quelle que soit la situation il finit par triompher.

    Par ailleurs, la Thora relate l’histoire sinueuse et mystérieuse de Yéhouda et Tamar de qui naîtra la lignée des rois d’Israël.

    Il se dessine tout au long de cette section de la thora une nouvelle relation avec D’ieu qui n’interagit plus directement avec l’homme comme avec les patriarches. La Thora   poursuit la narration de la construction de l’être juif à travers les chemins de l’histoire où D’ieu semble se cacher mais en réalité amène le projet de l’histoire selon Son Désir créateur.

    Le vécu de l’histoire selon le regard de l’homme au moment des faits est souvent difficile et douloureux et semble soumis à un certain déterminisme de l’histoire. Ce déterminisme qui s’oppose à la vision juive de la providence Divine.

    L’homme juif sait en théorie que sa vie et le monde sont régit par des lois naturelles déterministes mais que la volonté divine est derrière et en est le moteur. Le vécu dans le concret est tout autre et ce hiatus dans le vécu de la vie donne lieu à y reconnaître des miracles dans la tournure de certains évènements. Nous célébrons ces miracles chaque année car ils portent des messages profonds qui sont actualisables à chaque génération et leurs énergies permettent toujours la maturation de l’histoire et de l’homme.

    Seulement l’histoire, l’exil, la vie font que souvent les messages persistent dans le temps mais sont tronqués et peuvent mettre l’accent sur ce que la majorité des gens pensent être l’essentiel du message alors que l’objet même du miracle célébré est tout autre.

    La berah’a sur un miracle doit porter sur un évènement qui sort du cadre de la nature, qui sort de ce « déterminisme ».  

    Le Mecheh’ Hoh’ma amène l’exemple de Yossef qui en revenant de l’enterrement de son père récite « הזה במקום לי נס שעשה ברוך » (‘bénis celui qui a réalisé en miracle en ma faveur ici’) au moment où il passe devant le puits dans lequel il avait été jeté. D’après le Mecheh’ Hoh’ma qui rapporte Rabbi David Aboudirham (rabbin médiéval du XIVème siècle), cette berah’a est faite à ce moment-là car la libération  de Yossef du puits sain et sauf (car rempli de serpents et scorpions) est contre nature, cela sort du déroulement habituel et naturel d’évènements de ce type « הטבע מדרך שיצא » (hors de la nature) 

    Rabbi Tan’houm dans le Talmud, traité Chabbat 22 explique l’essentiel de ce miracle comme le fait que Yossef fut sauvé de ce puits, passage auquel la Torah n’accorde que quelques versets. Le fait semble extraordinaire mais incomparable à la suite du déroulement des évènements. Pourquoi insister pour faire la berah’a sur un miracle à ce moment-là, qui paraît « banal » par rapport à l’ascension de Yossef ?

    Le Mecheh’ Hoh’ma dit que la  השגחה (la providence) a fait ensuite le travail de l’amener vice-roi d’Egypte. En réalité il serait plus logique de voir la finalité des évènements pour y faire une berah’a.

    Il juxtapose ensuite cette réflexion avec le miracle de Hanoukka.

    La même construction est faite par rapport au miracle de Hanoukka : l’action réalisée, sur laquelle nous faisons la berah’a porte sur le miracle de la fiole qui brula pendant 8 jours.

    Certes, ce miracle est formidable et sort de la voie naturelle mais en quoi est-il si important au regard de l’Histoire ? D’autant plus qu’il n’a concerné qu’une poignée de juifs présents au Beth Hamikdach à ce moment-là. Sa célébration n’a été instaurée qu’un an après les faits et sa portée « médiatique » effective surement quelques années après.

    Alors que l’histoire des Maccabim se déroule sur une période de près de 120 ans, leur victoire met fin à 200 ans de domination grecque et permet à nouveau aux juifs de renouer avec leur héritage profond. Cette victoire aurait dû faire l’objet de la berah’a pourtant les sages de cette époque ont choisi le symbole de ce miracle de la fiole d’huile pure. Là encore, le texte du Mecheh’ Hoh’ma emploi l’expression « מההשגחה הסבות » pour signifier que le déroulement de l’histoire qui paraît si miraculeux à nos yeux n’est que l’expression du schéma divin dans sa réalisation presque « naturelle » finalement. L’histoire devait se diriger comme telle, mais là ou naturellement nous aurions vu un miracle ce n’est pas là que nous devons insister pour célébrer le miracle mais bien sur ce genre d’évènements qui ne paraissent être qu’un détail dans l’histoire. 

    Pour Hanoukka, nous pouvons comprendre le fait d’avoir choisi comme support de la berah’a le miracle de la fiole d’huile comme la meilleure réponse que l’on pouvait donner aux Grecs qui dans l’idéologie hellénisante étaient incapables de voir et comprendre qu’un monde spirituel, caché, métaphysique pouvait interagir de manière concrète avec la matière. Nous allumons donc ces lumières et faisons la berah’a sur ce petit évènement qui représente en fait l’essence même de la divergence entre grecs et juifs. II existe bien une réalité métaphysique dans ce monde et qui marque une différence sur la matière et il faut y croire pour le voir et le vivre.

    Vivre au quotidien en ayant cette conviction profonde qui résiste à toutes épreuves donne un autre sens à l’existence et permet de ressentir la Providence divine dans notre quotidien.

    Le commun des mortels n’est pas capable de vivre à un tel niveau et s’exalte devant ce que nous pensons être un miracle alors que ce n’est que le déroulement normal d’une ‘métahistoire’.

    Pour revenir à Yossef et le miracle du puits, nous pouvons y voir probablement la force de vie de nos fondateurs. Yossef a rêvé à deux reprises qu’il régnera sur ses frères. Yossef a une aspiration naturelle à la royauté et a le nom de D’ieu constamment à la bouche. Il est  conscient de manière vive de l’influence divine dans le monde. Il donnera naissance au concept Machiah’ ben Yossef. La providence divine descendra dans ce monde cette force émanant de Yossef et la traduira au niveau de la réalité par cette histoire incroyable. Le texte de la Torah ne nous fait pas part de l’inquiétude de Yossef dans ce puits. Il sait au fond de lui quel avenir l’histoire lui réservera. C’est à partir du moment où ses frères le jettent dans le puits que l’histoire commence pour lui.

    Le fait de ne pas se faire attaquer par les serpents et scorpions dans ce puits, puis d’être sauvé pour être ensuite vendu relève vraiment du surnaturel comme pour signifier à Yossef, c’est moi D’ieu qui vais te diriger et diriger l’histoire à partir de maintenant de manière visible à tes yeux. Jusque-là, la vie de Yossef était théorique, il n’était pas encore entré de manière active dans l’histoire de l’être juif.

    Ce moment est névralgique de l’expression dans la réalité de la providence divine.

    D’ailleurs, Rachi rapporte que lorsqu’il est avec les bédouins (37,25) une précision superflue de la Torah.  Celle-ci a été donnée pour montrer la faveur faite aux Justes. Ils transportaient des aromates au lieu de l’habituel naphte ou pétrole nauséabond afin de ne pas déranger Yossef par de mauvaises odeurs. Même dans les pires moments de l’histoire, la providence divine prend soin du moindre détail.

    Nous devrions être plus attentif à l’histoire et y voir la providence divine dans son déroulement naturel. Le miracle est surnaturel par essence pour rappeler à l’homme à quel point la volonté créatrice de D’ieu dirige ce monde.

     

      Yaacov MALKA  

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק לז
    (כד) והבור ריק, אין בו מים. הרואה מקום שנעשה לו נס מברך "ברוך שעשה לי נס במקום הזה". הפירוש כדברי אבודרהם, דוקא שיצא מדרך הטבע. והא דמברך על נר חנוכה, משום שנעשה נס בפך השמן, שזה נגד הטבע. והנה עקר הנס לנצחון מלכות אנטיוכוס, וישראל קיבלו מלוכה מאתיים שנה, ולזכרון צריך להאיר נרות, ולזה סגי בחזותא בעלמא. אך להורות על נס פך השמן צריך דוקא דיהא 'שלטא ביה עינא' - תוך עשרים אמה. ורמז לזה שהיה מאיר בתוך ההיכל, ופתחו של היכל גבוה כ' אמה (מדות ד, א).
    והנה ביוסף אמר רבי תנחומא במדרש (בראשית רבה פרשה ק, ח) שבשעה ששב יוסף מקבורת אביו, שהציץ בבור, ולשם שמים נתכון - לברך 'ברוך שעשה לי נס במקום הזה'. ועיקר הנס הוא מה שהעלוהו מהבור, ומסיבות ההשגחה נעשה לשר על כל מצרים. אך הברכה צריך לברך על דבר יוצא חוץ מהטבע. וזה שאמר ר' תנחום (שבת כב, א) 'אבל נחשים ועקרבים יש בו', והיה נס יוצא מטבע העולם, ולזה בירך 'ברוך שעשה לי נס'. ולזה נסמכו שני מאמרי ר' תנחום - הוא רבי תנחומא דבמדרש, כידוע - להורות שבחנוכה וביוסף הנס היה הסבות מההשגחה נצחון ומלוכה, רק שהברכה היתה כאן על הבור שלא הזיקוהו נחשים, וכאן על פך השמן. ויעוין ילקוט שמואל א כ"ג "סלע המחלקות" (שמואל - א, כג, כח), שכשהיו באים דוד ואנשיו, אותם שש מאות ודוד היו מסתכלים ומברכים 'ברוך שעשה לי נס' וכו'. צריך לומר דסבר כמו דאמר קודם, שמלאך בא מן השמים, לכך היה חוץ מהטבע והיו מברכים. ומה שלא היו מברכים השאר על נס של דוד, כמו שצריך לברך על אדם מסויים, משום שרודפו היה שאול, והוא גם כן אדם מסוים, ודו"ק בכל זה.

     

  • Faut-il être ouvert au monde ?

    • Le 29/11/2017

     

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma*

     

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    Faut-il être ouvert au monde


     

     

     

    בראשית פרק לג יח) וַיָּבֹא֩ יַעֲקֹ֨ב שָׁלֵ֜ם עִ֣יר שְׁכֶ֗ם אֲשֶׁר֙ בְּאֶ֣רֶץ כְּנַ֔עַן בְּבֹא֖וֹ מִפַּדַּ֣ן אֲרָ֑ם וַיִּ֖חַן אֶת־פְּנֵ֥י הָעִֽיר:

     Jacob arriva sauf à la ville de Sichem, dans le pays de Canaan, à son retour du territoire d’Aram; et il se fixa à l’entrée de cette ville.

     

    Le midrach explique qu’en utilisant l’expression « vayi’han » - il se fixa, la Torah veut nous indiquer que Yaakov observait les lois de chabbat. En effet, il serait arrivé à She’hem au moment du coucher du soleil (« dimdoumei ‘hama ») et aurait ainsi immédiatement fixé les t’houmim, les limites dans lesquelles il sera permis à sa famille de se déplacer durant chabbat. Le midrach dit également que concernant Avraham, le grand-père de Yaakov, la Torah n’écrit pas qu’il ait observé chabbat, bien que nous ayons la tradition qu’Avraham connaissait et observait la Torah enitère. La récompense promise par Dieu diffère aussi selon cette différenciation : Avraham reçoit une bénédiction en proportion au fait que son observance du chabbat ne soit pas clairement indiquée : « parcours cette contrée en long et en large car c’est à toi que je la destine », et Yaakov, lui, en reçoit une, hors proportion : « ta postérité sera comme la poussière de la terre ; et tu déborderas au couchant et au levant, au nord et au midi… ».

    S’il nous est clair que tant Avraham que son petit-fils Yaakov observaient le chabbat dans tous ses détails, pourquoi l’un devrait-il être le récipient d’une bénédiction plus grande que l’autre pour la simple raison que la Torah décide de noter ce fait ou non ?

    Le Mechekh ‘Hochma nous donne une allégorie afin d’essayer de comprendre non seulement le raisonnement derrière le choix des mots fait dans la Torah mais aussi et surtout un principe de base dans notre rapport au monde extérieur.

    Chacun des éléments de ce monde a sa place et ses besoins afin de pouvoir exister. Plus son niveau est élevé, plus ses besoins sont grands et plus ils sont définis. Il en est de même concernant notre potentiel et nos besoins spirituels. Ainsi, l’âme du Noa’hide a besoin – et se contente- de sept commandements, mais celle du juif n’atteindra sa vitalité qu’en ayant la Torah entière, dans tous ses détails.

    Avraham en tant que précurseur du monothéisme, a comme but de faire connaître au monde entier le concept même de Dieu unique, maître du monde. Et ainsi, même si lui-même respecte la Torah entière, ceci n’est pas indiqué afin de ne pas rebuter ceux dont l’âme n’a pas besoin, ne correspond pas à ceci. Le message de base est donc celui de l’ouverture au monde afin que chacun puisse découvrir Dieu.

    Yaakov est différent. Contrairement à son père et à son grand-père, tous ses enfants suivent son chemin. La promesse divine ne sera pas donnée à l’un de ses fils seulement, mais à tous. Une fois cette entité première en place, ces fils de Yaakov-Israël qui deviendront le Goy Kadoch, le Peuple Saint choisi par Dieu, le mode de vie face au monde doit changer. Le mot d’ordre n’est plus celui de préparer le « Erouv Tavhshilin » afin  que tous puissent rejoindre le message du Dieu unique, mais de fixer les « T’houmim » les limites au sein desquelles il est possible de se déplacer, des délimitations entre les enfants d’Israël et le reste des nations.

    Afin de pouvoir mériter de « déborder au couchant et au levant, au nord et au midi » il faut savoir poser ses limites, savoir se mettre à l’écart du monde.  Le judaïsme n’est pas une religion prosélyte : nous avons comme mission de faire connaître et grandir le nom de Dieu dans le monde, et pour cela nous nous adressons à tous tel Avraham. Mais en même temps «Israël réside en sécurité, la source de Jacob coule solitaire … » : nous ne pouvons atteindre notre potentiel que si nous savons être kedochim, saints, à l’écart du monde extérieur.

     

    Nathalie LOEWENBERG

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה בראשית פרק לג

    (יח) (שם, שם) ויחן את פני העיר. פסקתא (כג), בראשית (רבה) פרשה יא: אברהם שלא כתוב בו שמירת שבת וכו', אבל יעקב שכתוב בו שמירת שבת, שנאמר "ויחן את פני העיר" - נכנס עם דמדומי חמה וקבע תחומים וכו'. פירוש, שהמודד, וכלתה מדתו בתוך העיר, אין לו רק עד מקום שכלתה מדתו. (...)והציור בזה. דבאמת כמו שלהחי די במזון מהצומח, והמדבר ניזון מהחי, כן נפש המשכלת מבני נכר די לו בשבע מצוות. אולם נפש הישראלי, מקורו ממקום גבוה - חלק ה' ממעל - אם אין לו כל התורה בכללה ובפרטה, אז אינו בחיותו. כי עם ישראל המה מעון ומכון לאלקות בעולם השפל, 'ואין השכינה שורה אלא באלפי רבבות ישראל'. וזה סוד מה שאמרו: ש"ס רבוא המה כללות הפרצופים. ולכן אברהם חפש להפיץ שיטתו ודיעותיו באלקות לכל באי עולם, באשר חשב כי הוא יחידי. ואחר כך ראה כי ישמעאל יצא ממנו, ולכן נטע אשל להכניס כל באי עולם לברית (סוטה י, ב). ואמרו בריש עבודה זרה (ט, א): שני אלפים תורה מ"והנפש אשר עשו בחרן" - דשעבידו לאורייתא. וגם היה זה בכוונה שהלך למצרים - מקום החכמה והחרטומים - לפלפל ולקרבם לשיטותיו באחדות ובתורה.

    לא כן יעקב, ראה שמיטתו שלמה, ובזרעו די שיהיו מעון ומרכבה לשכינה, וכמו שהבטיחו, וראה שה' ניצב עליו, ראה להיפוך כי בניו יהיו נפרדים מעמים אחרים, מוגבלים בתחום. ואף ללבן חותנו הניחו בטעותו, וכעס על רחל שגנבה התרפים להבדילו מעבודה זרה. כן במצרים היו יושבים בארץ גושן נפרדים מהעמים. וכן לדורות באומה, אין מקבלים גרים בימי דוד ושלמה, שזה כהכרח או למקנא לגדולתם. וזה מליצתם שאברהם 'קיים עירובי תבשילין' - להכניס אורחים ולקבל גרים תחת כנפי השכינה, אבל לא 'קבע תחומים', שמא ימנע אחד מלבוא לשמוע דיעותיו. לא כן יעקב, 'קבע תחומים' להגביל ולתחום בין עם ישראל לעמים. ולכן במרה עדיין לא איפקוד אתחומים, משום שהיו נוסעים במחלוקת, ולא היו ראויים להיות משכן לאלקות, עד כי הארה האלקית תהא די להאיר לעולם השפל, ולכן לא ניתן מצות תחומים. אבל בסיני איפקוד על תחומים, ש"ויחן (שם) ישראל" (שמות יט, ב), והיו ראויים לקבל תורה, ואז ניתן תחומים, כמו ליעקב. שלכן אמר (דברים לג, כח) "וישכון ישראל בטח בדד עין יעקב". וזה שאמר הנביא (ישעיה נח, יג) "אם תשיב משבת רגליך" - זה על תחומים, כמו שאמרו ז"ל סוף מי שהוציאוהו (עירובין נב, ב), "והאכלתיך נחלת יעקב אביך" - זה יעקב שקבע תחומים. וזכה למידה בלא גבול - "ופרצת ימה וקדמה" (בראשית כח, יד) - בשכר שהוא קבע גבול ותחומים זכה לנחלת בלא גבול, ודו"ק היטב.

     

    בראשית רבה (וילנא) פרשת בראשית פרשה יא

    ז ר' יוחנן בשם ר' יוסי בר חלפתא אמר אברהם שאין כתוב בו שמירת שבת ירש את העולם במדה שנאמר (בראשית יג) קום התהלך בארץ לארכה ולרחבה וגו', אבל יעקב שכתוב בו שמירת שבת, שנאמר (שם /בראשית/ לג) ויחן את פני העיר, נכנס עם דמדומי חמה, וקבע תחומין מבעוד יום, ירש את העולם שלא במדה שנאמר (שם /בראשית/ כח) והיה זרעך כעפר הארץ וגו'.


     

  • Le temps incandescent ('Hanoukah)

        'Hanoukah

                                         

    Le temps incandescent

     

    par Yoël Hanhart

     

    Feu

     

    La parenthèse se referme ; les héros disparaissent. Avec l’usure du temps, leurs idéaux ont fini par les broyer. Au combat mené contre l’ennemi par des frères soudés ont succédé les luttes fratricides. A se demander si l’échec à venir ne se tapissait dans la victoire et ses lendemains : confusion des genres, fraternité mal assumée, les prêtres fils de Lévi prenant la place, royale, de ceux de Yéhouda. On guerroyait pour la lumière, l’obscurité a pénétré jusqu’au cœur du pouvoir. La terreur couve-t-elle inexorablement dans la ferveur révolutionnaire, comme la braise sous la cendre, comme la braise devenant cendre ? L’horreur et le sordide se loveraient-ils dans tout progrès, finissant par calciner les idéaux les plus nobles ? Quoi, la grandeur de l’homme se restreindrait-elle à colmater des brèches ?

    On a cru vaincre l’hellénisme ; c’est maintenant en grec que l’on pense, aux Romains que l’on s’allie. « Les forts livrés aux faibles, la masse au petit nombre, les impurs aux purs, les méchants aux justes, les criminels à ceux qui s’occupent de Ta Thora » ? Du passé ! « Quiconque se prétendrait des Hasmonéens est un esclave (car il n’en reste descendance). » Oui, le rêve des Hasmonéens a viré au cauchemar. « L'histoire […] est un cauchemar dont j'essaie de me réveiller. » L’histoire, ce cauchemar qui menace d’éliminer jusqu’à la possibilité du réveil, c’est Alexandre Jannée, le roi hasmonéen assassinant les Sages. « De malheurs mon âme est repue. » La royauté, levier de l’action collective, est dévoyée ; on l’enkystera pour survivre, malgré elle. Il faudra en payer le prix : état de stase, fuite en dehors de l’Histoire, Yavné se substituant à Jérusalem. La couronne de la Thora résistera aux vents qui ont emporté celles de la royauté et de la prêtrise. Défection ?

    Or, d’année en année, alors que l’hiver s’installe, s’élève la flamme de Hanoucca. A son rythme, la lecture publique de la Thora met en place une éclairante synchronicité: Joseph rêve et lit les rêves, tandis que la nuit égyptienne s’abat sur la famille de Jacob. La clé des rêves, proclame-t-il incessamment, c’est le temps. Les trois pampres, explique Joseph au maître-échanson, représentent trois jours. La signification des trois corbeilles apparues dans le rêve du maître-panetier : trois jours aussi. Les sept vaches et les sept épis dont Pharaon a rêvé : autant d’années. Partout se profile une temporalité faite d’attente, inscription de l’espérance dans la durée. Notre intelligence du rêve a pourtant ses limites : on ne sait pas quand se réaliseront les propres rêves de Joseph. « Longue nous est l’heure ; point de limite aux jours du malheur ? »

    Se rêver : abolition des limites temporelles. Le temps a cessé d’être usure ; nul besoin de fuir Jérusalem, de quitter l’histoire. « Je suis dormante mais mon cœur veille ! » Le Grand-Prêtre nous fait pénétrer dans le Saint des Saints, on retrouve l’idéal des Maccabées. La couronne du bon nom est à portée de main, celle de la Thora à qui ardemment la désirera. On se remet à penser en hébreu, au présent : assurément, nous nous réveillons du cauchemar de l’histoire. Réfection, Hanoucca !

    Au Retour, « nous serons comme rêvants ». Retournement : c’est le cauchemar qui était parenthèse ! Le temps, miracle, n’est plus une prison. L’huile perdure, brûlent les bougies. Parce qu'il s'accomplit possiblement aujourd'hui, le temps de Joseph ne saurait se définir en jours ou en années. L'huile du dernier jour est comprise dans celle du premier ; mieux, il s’agit en fait de la même substance. « En ces jours-là, en ce temps-ci ! »

    Comment donc éviter qu’inéluctablement la braise ne devienne cendre, comment réinvestir le temps et par là-même rédimer l’Histoire ?

    « Bougie de Hanoucca, l’homme et sa maison. » C’est à partir du foyer juif que se propagera la lumière. La fraternité est assumée et, des générations plus tard, on pourra fièrement se dire descendant de Joseph. La paix de la maisonnée justifie la préséance de l’éclairage domestique sur les bougies de Hanoucca. « Grande est la paix », insiste Maïmonide en exposant cette loi par laquelle il conclut les règles de Hanoucca, « car la Thora entière a été donnée pour faire la paix dans le monde. »

    « Alors, en un chant de louange, j’achèverai la restauration de l’Autel. »

     

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    Sources : Berechit, chapitres 40 et 41 ; Rachi sur Berechit 37, 11  et sur Chir Hachirim, 6, 12 ; Nahmanide sur Berechit, 49, 10 ; Tehilim, 126, 1; Chir Hachirim, 5,2 ; Daniel, 12,9 ; Michna : Middot 2, 3, commentaire de Maïmonide ad locum et sur Chekalim 6,3 ; Talmud de Babylone : Berakhot 20a ; Chabbat 21b ; Kiddouchin 66a ; Bava Batra, 3b ; Sanhedrin 19a ;  Maïmonide, Lois sur la Méguila & Hanoucca, 3, 1 et 4,14 ; Bet Yossef sur Tour O.H. 670 et réponses apportées dans Maharal, Ner Mitsva ; Sefat Emet, Hanoucca 5634 ;  Bénédiction prononcée sur l’allumage des bougies de Hanoucca ; Texte du ‘Al Hanissim, récité à Hanoucca, et du Maoz Tsour ; lehavdil, Flavius Josèphe, Antiquités juives, XIII,10 et James Joyce, Ulysses, Garland Publishing, 1986, Vol. I, p. 69.

  • La cuisine sacrificielle de Jacob

    • Le 23/11/2017

         Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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    La cuisine sacrificielle de Jacob

     

    « Jacob égorgea des animaux sur la montagne et invita ses frères pour manger du pain. Ils mangèrent du pain et dormirent sur la montagne. » (Béréchit 31.54)

    Après la confrontation l’opposant à Laban, à propos des idoles que Rachel (fille de ce dernier)  lui avaient volées, Jacob conclut une alliance avec son beau-père, puis comme il est de coutume dans ce genre de circonstances, invite selon l’expression du verset, « ses frères » à un festin. Rachi précise qu’il ne s’agit pas des frères au sens littéral, mais des amis de Laban qui l’accompagnait.

    On nous raconte donc que Jacob égorge des animaux, puis qu’il invite ses convives à manger du pain. Étonnamment, on dirait que ce n’est pas ce qu’il a préparé (les animaux) qu’il leur offre comme couvert, mais du pain. Rachi expliquera que toute nourriture est appelée pain. Le Méchekh’ H’okh’ma prendra une autre voie. Ce dernier fait également remarquer une nouveauté qui apparaît dans ce texte : l’expression de « zévah » (égorger) employée ici qui désigne ordinairement un abattage rituel n’était jusque-là utilisée uniquement dans des contextes de sacrifices.

    Le rav de Dvinsk déduit de cette remarque que, alors que jusque-là les animaux étaient consommés après un abattage de forme libre, Jacob instaure l’abattage rituel avant la consommation des animaux, abattage qui n’était effectué jusqu’à présent que lors des sacrifices. Ainsi Jacob aurait instauré une pratique supplémentaire quant à la consommation de la viande, en exigeant un abattage identique à celui des sacrifices pour toute consommation de viande. L’abattage rituel serait en effet, une façon de sanctifier la consommation de viande, ce qui sera plus tard un commandement pour les enfants d’Israël[1].

    Dès lors[2], explique le Méchekh’ H’okh’ma, on comprend pourquoi il a d’abord procédé à l’abattage avant d’appeler ses convives à table. En effet, il a craint que leur présence lors de l’abattage, en tant qu’idolâtres, ne rende la viande interdite à la consommation. Pour cette raison, il préfère les inviter une fois que tout est prêt, et c’est ce qui justifie selon le Méchekh’ H’okh’ma le fait que la nourriture soit appelée ici « pain », car on nomme souvent ainsi des aliments qui sont fournis tout prêts à être consommés.

    Il reste à comprendre cette crainte de Jacob de voir sa viande interdite à la consommation. Il semble que le rav de Dvinsk ait en fait poussé ici sa logique jusqu’au bout dans le rapprochement entre l’abattage rituel et les sacrifices. En effet, dans les sacrifices, une  intention inadaptée (d’un des prêtres s’occupant de la bête ou de l’un des propriétaires de celle-ci) lors de l’abattage de la bête ou de sa préparation lui donne le statut de « pigoul »  (réprouvée), ce qui signifie entre autres qu’elle est interdite à la consommation. L’abattage du sacrifice serait un acte qui requerrait un état d’esprit particulier, une maîtrise de la direction que prend l’acte (idolâtrie ou service divin). Pareillement dans ce nouvel abattage profane qui deviendra la pratique juive, imité du rituel des sacrifices, cette exigence se prolonge, et nous oblige à « sanctifier » notre consommation de viande comme s’il s’agissait d’un sacrifice[3].

    Tsvi Elyiahou Lévy

     

     

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

     

    משך חכמה בראשית פרק לא פסוק נד

    (נד) ויזבח יעקב זבח בהר. עד כאן לא מצאנו בתורה "זבח", ורק "מזבח" כתוב בכולם. משום שבני נח היו מקריבים לגבוה שחוטים וטהורים כמו שעשה נח, אבל חולין היו אוכלים בנחירה כמו ישראל במדבר. ושחיטה מן הצואר יליף ממקום שזבחתהו, וזה מלת זבח. רק יעקב שחט וחידש מצות שחיטה.

    ולפי זה, דברי רמב"ן שלא שמרו מצוות רק בארץ ישראל, יתכן להיות כי בהר הגלעד, שצפה יעקב שהמצפה יהא לבניו, שבט מנשה (שופטים יא, כא), שמר שחיטה, ולכן "ויזבח זבח" ושחט בעצמו "ויקרא לאחיו לאכול לחם", - זה דבר המתוקן כל צרכו - לאחר שהיה שחוט ומוכן, אז קרא אותם, שהיה חושש לקרוא אותן בחיי הצאן, שחש מפני שוחט לעבודה זרה, דזה מחשב וזה עובר, כמבואר בחולין דף לח, ב. לכן לא קרא אותם רק לאחר שנשחט והוכנו ונתבשלו ונהיו "לחם" לאכול, וברור. ולכן ביתרו, שהיה שלמים, ורק לאחר זריקת דמים והקטר חלבים כתוב גם הן "ויבא אהרן וכל זקני ישראל לאכל לחם וכו'", דמשולחן גבוה זכו בדבר המתוקן כל צרכו, ודו"ק היטב.

     


    [1] On peut émettre comme hypothèse qu’utiliser un couteau plutôt que d’égorger à la main est une sorte de recul ou de prise de distance à la fois par rapport à l’animal (on ne se bat plus avec lui), et par rapport à la violence de l’acte effectué.

    [2] Je saute ici un extrait du Méchekh’ Hokh’ma traitant de l’opinion de Nahmanide.

    [3] On peut d’ailleurs noter, que selon la tradition, il était interdit aux juifs, dès le don de la Torah, de consommer de la viande sans la sacrifier au préalable. Cette interdiction aurait été levée à l’entrée en Israël uniquement en raison de la difficulté de faire des sacrifices avant chaque repas alors que certains vivraient éloignés du Temple.

     

  • Les recommandations parentales de Rivka et Itz'hak

    Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma* 

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    Paracha Toldote 

    Les recommandations parentales de Rivka et Itz’hak   

     

     

    « Et Rivka fut informée des paroles d’Essav, son fils aîné. Elle fit appeler Yaakov, son plus jeune fils, et lui dit : ‘Voilà Essav ton frère veut se venger de toi, en te faisant mourir. Et maintenant, mon fils, obéis à ma voix : va te réfugier auprès de Lavan mon frère, à ‘Haran. Tu resteras chez lui quelques jours, jusqu’à ce que s’apaise la fureur de ton frère. Jusqu’à ce que la colère de ton frère s’écarte de toi et qu’il aura oublié ce que tu lui as fait, je t’enverrai ramener de là-bas : pourquoi m’exposer à vous perdre tous les deux à la fois ?’.

    Rivka dit à Itz’hak : ‘Je suis dégoûtée de ma vie, à cause des filles de ‘Heth. Si Yaakov choisit une épouse parmi les filles de ‘Heth, telles que celles-ci, parmi les filles de cette contrée, que m’importe la vie ?’ »

    (Béréchit 27, 42-46)

    Itz’hak appela Yaakov et le bénit, puis il lui ordonna et lui dit : ‘Ne prends pas femme parmi les filles de Kénaan (…). Le Dieu tout puissant te bénira (…). Qu’il te donne la bénédiction d’Avraham à toi et à ta postérité avec toi (…)’

    (Béréchit 28, 1-4)

     

    Rivka et Itz’hak comprennent que Yaakov n’a plus sa place à leurs côtés, en Erets-Kénaan, où il est menacé de mort par son frère, Essav. Malgré leurs divergences de vue, le patriarche et son épouse sont d’accord pour envoyer Yaakov trouver femme dans le lieu natal de Rivka. Ils l’encouragent donc tous deux dans ce sens.

    La lecture de ce passage nous montre à priori un couple assez âgé s’inquiéter du devenir de leur enfant, menacé de mort. Ils agissent donc en parents soucieux du devenir de leur progéniture.

    Cependant, une première question se pose : La préoccupation du mariage est-elle vraiment à propos dans ce contexte ? Yaakov est menacé. La priorité est sa fuite dans un endroit sécurisé. N’est-il pas possible pour Rivka et Itz’hak de se préoccuper plus tard de sa future union, une fois le problème prioritaire réglé ?

    Selon le Mechekh ‘Hokhma, Rivka n’agit pas uniquement ici dans l’intérêt de son fils, comme une mère ‘normale’. Son discours et son insistance traduisent également une aspiration plus élevée : l’accomplissement de la prophétie. Si Yaakov se fait tuer par Essav, les prophéties prononcées avant la naissance des enfants ne se réaliseront pas. Or il a été annoncé : « Un peuple sera plus fort que l’autre, et l’aîné obéira au plus jeune » (Béréchit 25, 23). Ceci ne peut s’accomplir qu’à la seule condition que Yaakov ait une descendance.

    Mais comment peut-il se marier et avoir des enfants en restant auprès d’eux, tout en étant obligé de se cacher constamment à cause de son frère ? Aussi la seule possibilité d’aller dans le sens du message divin est-elle de l’envoyer au loin, et d’insister sur la nécessité de trouver femme une fois sur place.

    Le Rav de Dvinsk remarque encore que cette préoccupation ‘supérieure’ se retrouve aussi chez Itz’hak. Le patriarche n’agit pas uniquement comme un père ‘normal’ motivé par des sentiments paternels, mais également comme un protecteur du message prophétique. C’est pour cela qu’il emploie cette formule à priori étonnante : « Qu’il te donne la bénédiction d’Avraham ». A quelle bénédiction fait-il référence ? C’est que Yaakov prend désormais le chemin déjà écrit et annoncé par Dieu à son grand-père : « Ta descendance sera étrangère » (Béréchit 15, 13). En quittant le domicile paternel, il commence ainsi le futur chemin de l’exil, qui débute précisément chez Lavan.

    Nous pouvons donc supposer, à la suite du Mechekh ‘Hokhma, que la recommandation de se marier chez Lavan a également chez Itz’hak une connotation supérieure. Au-delà des conseils ‘classiques’ d’un père envers son fils, il l’incite pleinement à permettre l’accomplissement de la parole divine.

     

    Yona GHERTMAN

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק כז

    (מב - מו) הנה עשו אחיך מתנחם לך להרגך, ועתה בני שמע בקולי וכו'. אם לוקח יעקב אשה מבנות חת... למה לי חיים. הענין, שנאמר לה בנבואה "ורב יעבד צעיר" (כה, כג), ואיך יהרוג עשו את יעקב?! אולם יכול להתקיים בזרעו כמו "לאום מלאום יאמץ" (שם שם). אך זה דוקא אם ישא אשה ויוליד בנים. לכן עכשיו "הנה עשו מתנחם (לך להרגך)", ואיך תוכל לישא אשה פה?! ברח לך אל לבן אחי אמך וקח אשה משם, ודו"ק.

    משך חכמה בראשית פרק כח

    (ד) ויתן לך את ברכת אברהם. ראה עתה כי הגירות מתקיים ביעקב, והוא פורע השטר, לכן אמר "ברכת אברהם", וזה אשר כרת עמו בברית בין הבתרים שאמר "כי גר יהיה זרעך" (טו, יג), "לזרעך נתתי את הארץ הזאת" (שם יח). וכמו שאמרו זאת הטענה בשלחם מלאכים אל מלך אדום, עיין רש"י ומדרש שם פרשת חוקת, ופשוט

  • L'union entre la droite et la gauche

     Cycle : la Paracha selon le Mechekh 'Hokhma

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    L’alliance de la droite et de la gauche

     

    On raconte que c’est à l’âge de 17 ans que Rabbi Méïr Sim’ha ha-Cohen de Dvinsk acheva la rédaction de son commentaire sur la Tora, Meshekh ‘Hokhma. Son père lui interdit de publier ce livre avant d’avoir auparavant achevé un ouvrage plus prestigieux pour un Talmid ‘Hakham, soit un ouvrage de ‘Hidoushé Halakha. Et c’est ainsi que nous avons eu le mérite de recevoir le recueil exceptionnel que constitue le Or Saméa’h sur le Mishné Tora de Maïmonide. Mais paradoxalement, l’ouvrage achevé dans la prime jeunesse de Rabbi Méïr Sim’ha ne sera publié que de manière posthume (1)

    … On a l’habitude de considérer le Meshekh ‘Hokhma comme l’un des sommets de la littérature rabbinique lituanienne, pétri qu’il est d’érudition et de subtilités talmudiques. Mais on oublie que l’héritage mitnaged comporte également un versant cabalistique exceptionnel, découlant notamment des œuvres du Gaon de Vilna lui-même, à l’instar de son commentaire sur le Sifra di-Tsniouta, puis de celles de ses plus grands élèves, à commencer par Rabbi ‘Hayim de Volozhine. En l’occurrence, aucune erreur n’est possible ici ! Rabbi Méïr Sim’ha ne dissimule pas un instant ses intentions. En effet, le tout premier passage du Meshekh ‘Hokhma est de nature purement ésotérique, citant tout d’abord la figure tutélaire de Na’hamanide, faisant référence au Sefer Yetsira, aux textes des « Anciens », et invoquant les concepts de Ein Sof, de Mo’hin ou le nombre des séfirot et les rapports entre les premières d’entre elles. Même si Meshekh ‘Hokhma n’est donc pas à proprement parler un commentaire ésotérique sur la Tora, la dimension cabalistique y revient de manière régulière, comme un filigrane. C’est le cas dans notre parasha, celle de ‘Hayé Sarah.

    * * *

    Pour rappel, Eli’ezer, serviteur d’Avraham, a été envoyé par son maître chercher femme pour son fils Yits’hak (Genèse 24:1-4). Sur le départ, Eli’ezer tient des propos à mi-chemin entre une prière et un contrat moral passé avec Dieu (24:12- 14) : « Et il dit : Seigneur, Dieu de mon maître Avraham ! Daigne me procurer aujourd’hui une rencontre et fais montre de bonté envers mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord de la fontaine et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau. Eh bien! la jeune fille à qui je dirai : “Veuille pencher ta cruche, que je boive” et qui répondra : ”Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux“, puisses-tu l’avoir destinée à ton serviteur Yits’hak et puissé-je reconnaître par elle que tu as fait montre de bonté envers mon maître ! ».

    A deux reprises, Eli’ezer évoque donc le ‘Hessed, la bonté de Dieu – et c’est à cette bizarrerie textuelle que s’attache Rabbi Méïr Sim’ha :

    « D’après la voie de la Vérité [ésotérique], l’explication en est la suivante : Yits’hak représente la dimension de Rigueur (Guevoura) or c’est par l’adhésion de la Guevoura et du ‘Hessed qu’est constituée la traverse centrale, le Emet (Vérité). C’est pourquoi lorsqu’il ressentit en Rivka la dimension de Bonté il déclara : “Béni soit Dieu qui n’a pas abandonné son ‘Hessed et son Emet” (24:27). C’est-à-dire que du mélange des dimensions de ‘Hessed et Guevoura est né la dimension de Emet, à savoir la dimension de Ya’akov. »

    Entre d’autres termes, selon le principe de correspondance entre les mondes supérieurs et les mondes inférieurs, l’union de Yits’hak et Rivka provoque en quelque sorte la synthèse de leurs dimensions spirituelles respectives et donne naissance matériellement à Ya’akov et spirituellement à la dimension de Emet. C’est une approche originale au sens où l’on considère plus classiquement que Ya’akov constitue la synthèse centrale du Emet en venant introduire l’harmonie entre les opposés que représentent son grand-père Avraham et son père Yits’hak. Il corrige le débordement de l’un et l’excès de l’autre et ouvre la voie à une possible rédemption du monde (2) . Débordement de bonté chez Avraham donnant naissance à Yishma’el, à qui il souhaite à tout prix de « vivre devant Dieu », excès de rigueur chez Yits’hak donnant naissance à Essav, à qui il souhaite délivrer sa bénédiction en qualité d’aîné. Dans les mots du Zohar (Terouma, 175a) :

    « Rabbi Shim’on enseigne : “Et la traverse centrale passera dans l’intérieur des solives, les reliant d’une extrémité à l’autre” (Ex. 26:28), il s’agit de Ya’akov, saint et parfait, comme nous l’avons établi, ainsi qu’il est écrit : “Et Ya’akov était un homme parfait, résidant dans les tentes.” Il n’est pas écrit “résidant dans la tente”, au singulier, mais “dans les tentes”, [les tentes] au nombre de deux, [et] qui unit l’une à l’autre. Ici également il est écrit : “Et la traverse centrale passera dans l’intérieur des solives, les reliant d’une extrémité à l’autre”, c’est-à-dire qui unit les deux [extrémités]. « Rabbi Shim’on enseigne : Je vois que la Sagesse (‘Hokhma) englobe le tout. Et que le ‘Hessed supérieur émane de la Sagesse. La Guevoura qui est le Din implacable, émane de la Bina. Ya’akov complète les deux côtés, les patriarches englobent le tout et Ya’akov englobe les patriarches. »

    Rabbi Shim’on expose clairement qu’Avraham, homme du ‘Hessed émane de la ‘Hokhma tandis que Yits’hak, homme de la Guevoura émane de la Bina. Il y a donc une relation d’émanation verticale entre les deux dernières des trois premières séfirot et les deux premières Midot, sans communication directe entre les côtés opposés. Ya’akov vient unir ‘Hessed et Guevoura, introduit une dimension médiane dans les midot. Et, ipso facto, il réalise la synthèse entre ‘Hokhma et Bina et matérialise en quelque sorte le lien d’émanation entre Da’at et Tif’eret, rattachant sa dimension originale aux séfirot de tête.

     Dans la lecture du Meshekh ‘Hokhma, la synthèse entre la Droite et la Gauche provient donc de l’union matrimoniale entre Yits’hak et Rivka. Et Ya’akov constitue la personnification de cette synthèse en tant qu’engendré par ses deux parents et non en tant que descendant de ses père et grand-père. Ce qui nous fournit une nouvelle lecture du verset suivant : « Yits’hak amena [Rivka] dans la tente de sa mère Sarah, il prit Rivka, elle fut femme pour lui et il l’aima et Yits’hak se consola [de la mort] de sa mère » (24:67), verset sur lequel Rashi commente d’après le Midrash : « Il l’amena dans la tente et voici qu’elle était Sarah, etc. » Dans la conjugalité Yits’hak découvre qu’il y a identité entre sa propre femme, Rivka, et Sarah, qui n’est plus ici sa mère, mais plutôt l’épouse d’Avraham, la dimension féminine du ‘Hessed (en accord avec le Midrash : « Avraham convertissait les hommes et Sarah convertissait les femmes… »). Le Midrash précise d’ailleurs : « Et voici qu’elle était Sarah » et non pas « Et voici qu’elle était sa mère » ou « semblable à sa mère » (ce qui aurait certes eu des résonances incestueuses). De cette union naîtra Ya’akov, qui, comme l’a dit le Zohar, « unit les tentes » – à proprement parler si l’on se réfère à ce commentaire de Rashi. La tente de Yits’hak se mélange avec celle de Sarah et la synthèse est opérée.

    Pour conclure, le Meshekh ‘Hokhma apporte deux nouvelles identifications de Rivka avec le ‘Hessed : - Sa chute du chameau en voyant Yits’hak (24:64) – c’est très littéralement l’effet du Pa’had Yits’hak, de la crainte qu’impose la figure de Yits’hak à la femme de ‘Hessed ; - Son exclamation : « Qui est cet homme-là qui va dans le champ ? » (24:65). Rabbi Méïr Sim’ha explique que le champ désigne « l’intensité du Din », ce pourquoi elle le désigne sous le terme de « halazé » qui marque la séparation et l’opposition entre elle et lui.

    * * *

    On peut enfin renchérir sans grand danger sur les paroles du Meshekh ‘Hokhma en remarquant que ce n’est qu’une fois Rivka identifiée comme l’épouse destinée à Yits’hak, aussi bien dans le premier que dans le second récit, qu’Eli’ezer n’évoque non plus le seul ‘Hessed de Dieu, mais son ‘Hessed et son Emet (24:27, 24:49). Il indique clairement que Dieu l’a mis sur « la voie du Emet » (24:28), sur la voie de la réalisation du Emet-Tif’eret dans le monde, via l’union entre Yits’hak et Rivka. Et déclare-t-il à la famille de Rivka, si vous refusez cette union, « dites-le moi et je me tournerai vers la Droite ou vers la Gauche » (24:49). Si vous vous opposez au mariage de Yits’hak et Rivka, la droite restera droite et la gauche restera gauche, l’harmonie cosmique ne pourra être réalisée. A quoi Lavan et Betouel répondent : « De YHWH la chose est sortie ». De la volonté de quel nom de Dieu émane la décision d’unir ces époux ? De YHWH, le nom de Dieu correspondant à la séfira Tif’eret. QED.

     

    Emmanuel Ifrah

     

    Notes

    1/ En effet, on aurait pu attendre le Meshekh ‘Hokhma soit publié immédiatement à la suite du premier volume du Or Saméa’h (Varsovie, 1902). Mais le Meshekh ‘Hokhma ne parut qu’après la disparition de Rabbi Méïr Sim’ha en 1926.

    2/ « Il est connu qu’Avraham représente la dimension du ‘Hessed le plus grand, sans aucune limite, tous sont bons à ses yeux et il n’y a que bien, ce pourquoi il demande à Dieu : “Si seulement Yishma’el pouvait vivre devant toi” – c’est-à-dire qu’il vive pour l’éternité devant toi, ce qui correspond à la dimension de Ein Sof illimitée, bien qu’Avraham sache ce qu’est Yishma’el, à cause de sa grande bonté, Avraham veut non seulement qu’il vive, mais qu’il vive dans un bien sans limite. C’est ce qui est enseigné [lorsqu’on compare Ya’akov aux autres patriarches] : “Pas comme Avraham dont est sorti Yishma’el”, dont il est sorti à cause de son débordement de bonté.

    « Mais il n’est pas juste qu’il en soit ainsi, car à la venue du Messie, si Dieu la veut, “La mort [devra] être éradiquée pour l’éternité”. “Et j’éliminerai l’esprit d’impureté de la terre.” Et il faut éradiquer tout mal de la terre, or si le monde est dirigé par la grande bonté [d’Avraham] comme il a été expliqué, le monde ne pourrait pas atteindre la dimension du Messie.

    « C’est pourquoi vient ensuite Yits’hak qui représente la dimension du Din, de la rigueur [afin de poser une limite à la bonté débordante d’Avraham]. Mais de Yits’hak également sort Essav en raison de sa rigueur trop implacable, [Essav à propos duquel il est écrit :] “Tu vivras par ton glaive.”

    « Mais “la couche de Ya’akov, [elle] fut parfaite”. [De lui ne sortirent que des enfants dignes de s’appeler “Fils de Ya’akov.” »

    (Tora Or du Admour ha-Zaken, Lekh Lekha, s.v. Anokhi Maguen Lakh) 

     

    *Rav Méïr Sim’ha haCohen de Dvinsk. 1843-1926

    Texte original :

    משך חכמה בראשית פרק כד
    (יד) (ובה אדע) כי עשית חסד עם אדוני. פירושו על דרך האמת (כד, יד): כי יצחק מדת גבורה, ומהתדבקות גבורה עם החסד נעשה בריח התיכון - אמת. ולכן כאשר הרגיש ברבקה מדת החסד אמר (פסוק כ"ז) "ברוך ה'... אשר לא עזב חסדו ואמתו" - שנולד מדת אמת מהתמזגות חסד וגבורה, וזה היא מידתו של יעקב. ולכן (פסוק ס"ד): "ותשא רבקה (את עיניה ותרא את יצחק) ותפל (מעל הגמל)"- מידת 'פחד יצחק'. וזה (פסוק סה) "מי האיש הלזה ההולך בשדה - עוצם הדינים - ותתכס", ודו"ק.

     

  • Les démons de minuit

    • Le 02/11/2017

                     Qui sont les vrais ‘démons de minuit’ ?

     

          Insomnie

     

    Dans notre rituel de prières, le « Shéma-Israël » [écoute Israël] a une place fondamentale, notamment car il retranscrit plusieurs idées essentielles du judaïsme : la reconnaissance de l’unité divine et du joug divin (1er paragraphe) ; l’acceptation des commandements (2nd paragraphe) ; la mitsva des tsitsit et la mention de la sortie d’Egypte (3ème paragraphe). Nous lisons ce texte le matin et le soir afin de reproduire l’indication de la Torah : « Tu les enseigneras à tes enfants, et tu en parleras, lorsque tu seras assis dans ta maison, lorsque tu marcheras en chemin, à ton coucher et à ton lever » (Devarim 6, 7). De ce verset, nous apprenons qu’il convient de lire le « Shéma-Israël » à l’heure habituelle du coucher (soir) et à l’heure habituelle du lever (matin).

    Il existe toutefois une autre lecture du « Shéma-Israël », instituée avant de s’endormir : « Celui qui entre dans son lit pour dormir prononce le ‘Shéma-Israël’ jusqu’à ‘véhaya im shamoou’ [le premier paragraphe], puis il prononce : ‘Béni soit Celui qui fait s’abattre les liens du sommeil sur mes yeux et la torpeur sur mes paupières [...] » (Berakhote 60b).

     Il y a donc une obligation supplémentaire, en plus de la récitation du soir, de lire le premier paragraphe du ‘Shéma’ avant de dormir, et de le précéder d’une bénédiction spécifique. Cette dernière se trouve dans nos livres de prière. On peut y lire notamment : « Ne nous amène pas à la faute, ni à l’épreuve ou à la honte. Que le bon penchant règne sur nous, et que tu nous sauves du mauvais penchant et des mauvaises maladies ; et que nous ne soyons pas épouvantés par les mauvais rêves et les mauvaises pensées ».

    L’obligation de lire le ‘Shéma’ avant de se coucher -ou du moins le premier paragraphe- est bien distincte de sa récitation en entier une fois la nuit tombée. Selon le Talmud, les Sages ont institué cette récitation supplémentaire avant de dormir afin de protéger des « êtres malfaisants / mazikine » (Berakhote 5a). De qui s’agit-il ? On pourrait choisir de s’orienter vers une explication mystique et y voir une protection contre les ‘mauvais esprits’ et autres ‘démons de minuit’. Toutefois une telle approche aurait le désavantage de déresponsabiliser l’homme face à lui-même. Aussi je me permettrais une autre explication plus rationnelle, et surtout… plus ‘parlante’ :

    Un voisin gendarme m’expliquait récemment qu’il avait beaucoup de mal à s’endormir le soir en raison des horreurs qu’il voyait régulièrement dans son travail. Il me faisait notamment référence à la soirée du 14 Juillet 2016, durant laquelle il était en service à Nice… A niveaux variables, les tensions et les préoccupations de la journée s’accumulent et ressortent dès que le calme du coucher se fait sentir. Ce sont nos propres démons qui nous empêchent de dormir. Aussi les Sages ont-ils exigé que nous nous endormions en prononçant des paroles de Torah et de réconfort. L’objectif étant de s’endormir en gardant en tête que tous nos problèmes, aussi dérangeants soient-ils, peuvent être surmontés en prenant le recul nécessaire : la reconnaissance du joug divin.

    C’est d’ailleurs dans cet esprit que les Sages enseignent : « Le Satane, le Yetser hara et l’ange de la mort  sont une seule entité » (Baba Bathra 16a)… La première source de conflit n’est pas l’autre mais soi-même. L’agent déviateur (satane), le penchant vers le mal (yetser hara) et les pulsions mortifères (ange de la mort) sont une même déclinaison de nos ‘démons’ intérieurs. En prendre conscience constitue le premier pas vers l’amélioration.

     

    Yona GHERTMAN

     

    * D'après un billet paru dans Actualité-Juive