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  • Choc des cultures ou choc de l'inculture ?

    • Le 18/02/2016

    Choc des cultures ou choc de l’inculture ?

     

    Brain

     

    Certains aiment à voir dans l’immigration originaire des pays d’Afrique du Nord, majoritairement musulmane, un danger pour la culture française. Le nombre important de ces immigrés ou de leurs descendants –aussi français que vous et moi- constituerait selon leurs dires une menace pour la survie des traditions de notre pays. On a vu ainsi éclore la « théorie du grand remplacement », sacralisée par l’extrême-droite, puis consacrée comme argument légitime du débat national depuis la parution du livre de Michel Houellebecq –Soumission- l’année dernière. L’ouvrage s’assumant comme une fiction, on peut s’interroger sur l’intention de ceux qui ont voulu y voir un enjeu sociologique majeur…

    La phobie des étrangers qui deviendraient plus nombreux que les nationaux apparaît dans le discours des Egyptiens, au début du livre de l’Exode (1, 9-10): « Voyez le peuple des enfants d’Israël est plus nombreux et plus puissant que nous. Allons, agissons avec circonspection envers lui, de peur qu’il ne s’accroisse encore, et alors, survienne une guerre, il pourrait se joindre à nos ennemis, nous combattre et il quitterait le pays ». La sortie d’Egypte nous montre qu’en réalité les Hébreux n’avaient alors aucune vocation guerrière : « Quand Pharaon fit partir le peuple, Dieu ne le dirigea point par le pays des Philistins, car il était proche ; parce que Dieu disait : ‘De peur que le peuple regrette quand ils verront la guerre, et qu’ils retournent en Egypte’ » (Exode 13, 17). Si le risque n’est pas réel, c’est que la crainte est fantasmée. Pourquoi ? Pour quelle raison certains voient-ils la culture étrangère comme une  agression contre leur propre identité ?

    Selon le Rav livournais du 19ème siècle, Elie Benamozegh, «  il est certain que, dans le domaine moral aussi bien que dans le monde physique, tout type doué d’une très grande force vitale est capable de résister aux influences du milieu ». Ceci-dit poursuit-il, « au lieu de prétendre que l’ambiance forme le type, il faut plutôt dire que celui-ci tire du monde extérieur ce qui est nécessaire à son propre développement » (Israël et l’Humanité, pp.63-64). En d’autres termes, l’assimilation à la culture étrangère n’est pas à craindre lorsque l’identité est bien affirmée. Plus encore, une identité forte se nourrit des richesses des cultures côtoyées, précisément car « la grande force vitale » empêche la substitution d’une identité à l’autre, tout en distinguant les valeurs positives de celles incompatibles avec la culture traditionnelle. C’est donc qu’à contrario la perception de la différence culturelle (ou religieuse) comme une menace relève une grave faiblesse dans la définition précise de l’identité profonde.

    Interviennent alors des questions de fond et d’actualité : existe-t-il de nos jours une culture française authentique, aisément définissable, dans laquelle chaque citoyen peut se reconnaître ? Outre les valeurs de la société de consommation, le quidam peut-il  se retrouver dans une éthique occidentale qu’il entendrait défendre ? Une autre problématique concerne également la population juive. Se focaliser sur un prétendu « choc des cultures » n’appelle-t-il pas à prendre position, voire à s’assimiler à la culture défendue, quitte à délaisser l’application stricte de la Halakha (loi juive) ? Laissons ouverte la réflexion et concluons par un bref regard sur le monde ‘hassidique. N’est-il pas remarquable que ceux qui affirment si haut leur identité de Torah empruntent leur habillement et nombre de leurs mélodies à des cultures étrangères ? Voici une belle illustration de la « grande force vitale » dont il est question dans les propos du Rav Benamozegh.

     

    Yona GHERTMAN

     

    * Billet paru dans l'hebdomadaire Actualité Juive du 18 Février 2016

     

  • Commentaire du Netsiv- Tetsavé

    • Le 16/02/2016

    Cycle : la Parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Raisonnement logique ou raisonnement analogique…

     

    Le premier passage du Netsiv sur notre parasha, Tetsave, est peut-être l’un des morceaux d’anthologie de son commentaire sur la Torah.

    Nous faisons le choix de ne pas décrire en longueur les finesses exégétiques qui amènent le Netsiv à ses différentes conclusions, pour entrer de suite dans le vif du sujet, ou plutôt dans le vif du h’idoush. Le Netsiv dans ce commentaire explique, pour la première fois, une idée qui reviendra en plusieurs endroits de son œuvre[1] : si l’étude-et sa conclusion pratique- est classiquement perçue comme une démarche basée sur la démonstration logique[2], il existe en fait, une démarche parallèle, une méthode que l’on pourrait appeler « associative », ou encore « raisonnement analogique ». Le Netsiv l’appelle "מדמה מילתא למילתא", « rapprochement de deux idées ». Ces deux méthodes étaient, selon l’exégèse du Netsiv, spécifiques à, respectivement, Moshe et Aaron : la démarche démonstrative était celle de Moshe, la seconde, celle d’Aaron.

    Si avec la première méthode, on peut aisément retracer le cheminement du raisonnement et retrouver la conclusion, la seconde méthode est par définition plus floue. Les raisonnements analogiquescomportent une donne que l’on pourrait qualifier d’intuitive. Quelle ouverture audacieuse nous laisse entrevoir le Netsiv ! Mais aussi, quel danger… Si la rigueur d’un raisonnement nous assurait un garde-fou, qu’en est-il si l’on envisage que la ala’ha peut être tranchée « selon l’esprit de la Torah », par « association ou ressemblance entre les idées » ?

    A vrai dire, l’ouverture du Netsiv est quasi-immédiatement fermée… En effet, nous explique-t-il, cette méthode était l’apanage d’Aaron et disparut totalement avec sa mort… Le Netsiv le dit clairement dans son commentaire sur Bamidbar XXXIII, 39[3]

    Et pourtant…

    Il est intéressant de noter que cette distinction entre raisonnement par démonstration ou raisonnement par « analogie » est retrouvée chez un élève du Netsiv : le Rav A.I Kook.

    Son commentaire sur les aggadot du Talmud est précédé d’une introduction longue et riche. Le Rav Kook commence son introduction en faisant une distinction de méthode entre l’étude de la alah’a et l’étude de la aggada.Or, cette distinction est exactement celle faite par le Netsiv dans notre parasha ! La ala’ha est, selon lui, principalement étudiée à travers ce que le Rav Kook appelle le piroush – l’explication lente et déductive-, la aggada est, quant à elle, étudiée via le biour, ce que nous appelions plus haut, « le raisonnement analogique ».

    Mais, le RavKook ne s’arrête pas là et il continue en commentant un verset du livre de Devarim[4]:

    "כִּי יִפָּלֵא מִמְּךָ דָבָר לַמִּשְׁפָּט, בֵּין-דָּם לְדָם בֵּין-דִּין לְדִין וּבֵין נֶגַע לָנֶגַע--דִּבְרֵי רִיבֹת, בִּשְׁעָרֶיךָ: וְקַמְתָּ וְעָלִיתָ--אֶל-הַמָּקוֹם, אֲשֶׁר יִבְחַר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ בּוֹ. ט וּבָאתָ, אֶל-הַכֹּהֲנִיםהַלְוִיִּם, וְאֶל-הַשֹּׁפֵט, אֲשֶׁר יִהְיֶה בַּיָּמִים הָהֵם; וְדָרַשְׁתָּ וְהִגִּידוּ לְךָ, אֵת דְּבַר הַמִּשְׁפָּט. י וְעָשִׂיתָ, עַל-פִּי הַדָּבָר אֲשֶׁר יַגִּידוּ לְךָ, מִן-הַמָּקוֹם הַהוּא, אֲשֶׁר יִבְחַר יְהוָה; וְשָׁמַרְתָּ לַעֲשׂוֹת, כְּכֹל אֲשֶׁר יוֹרוּךָ"

    « Si tu es impuissant à prononcer sur un cas judiciaire, sur une question de meurtre ou de droit civil, ou de blessure corporelle, sur un litige quelconque porté devant tes tribunaux, tu te rendras à l'endroit qu'aura choisi l'Éternel, ton Dieu;9 tu iras trouver les Kohanim, descendants de Lévi, ou le juge qui siégera à cette époque; tu les consulteras, et ils t'éclaireront sur le jugement à prononcer »

    Pourquoi, nous demande le Rav Kook, la justice pourrait-elle être rendue par le Kohen et non par le juge ? Cette répétition du verset 9 « les Kohanim ou les juges » lui permet de réintroduire les deux méthodes définies plus haut. « Démonstration » et « analogie » sont envisagées dans le verset de Devarim : deux modalités pour rendre la justice ou trancher la alah’a sont énumérées, celles des juges et celles du Kohen. Mais, à ce niveau, nous précise le Rav Kook, nous avons quitté le domaine de la aggada, pour revenir à celui de la Loi…

    Ainsi, l’éventualité de trancher un litige, de définir une mitsva, de fixer la ala’ha non pas par un raisonnement déductif est clairement retrouve dans ce texte du Rav Kook. Est-ce que ce dernier, comme son maître, va-t-il limiter cette possibilité à la seule génération du désert ? Non. Et là, se trouve une différence avec le Netsiv : si pour le Netsiv, le mode de raisonnement « analogique » ou « selon l’esprit de la Torah » a disparu avec la mort d’Aaron, le Rav Kook, lui, l’envisage dans une période beaucoup plus longue et date sa fin avec la destruction du premier Temple et le début de l’exil. L’éloignement, l’absence du centre spirituel qu’était le Temple rendaient alors cette méthode trop hasardeuse : qui peut se targuer de connaitre « l’esprit de la loi » dans le tâtonnement constant qu’est l’étude de l’exil...

    Ceci n’est pas sans rappeler une critique émise contre le Talmud par… le Talmud lui-même :

    "במחשכיםהושיבניזהתלמודבבלי"

     « Il me fait tâtonner dans l’obscurité[5]–voilà l’étude du Talmud de Babylone »….

     

    Benjamin Sznajder

     

    *  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

     

    Commentaire du Netsiv en hébreu :

    ואתה תצוה וגו׳. כלל פרשה זו נפלאה. לבד לשון ואתה תצוה שכבר עמדו הראשונים ע״ז עוד עיקר הפ׳ אין כאן מקומה בתוך מעשה המשכן ויותר היה מקומה אחר מעשה המנורה עכ״פ. גם לשון ויקחו אליך. אינו מבואר מה זה. והרמב״ן כ׳ שהזהיר שיביאוהו לפניו ומשה יראה אם הוא זך וכתית כראוי. ואינו אלא פלא. וכי לא נאמנו פקידי המשכן ע״ז ומה יהיה אחרי מות משה. עוד יש להעיר על מאמר חז״ל בויקרא רבה ס״פ אמור פל״א עה״פ צו את בני ישראל ויקחו אליך שמן זית זך. הד״ד ראשך עליך ככרמל וגו׳ מלך אסור ברהטים. ומפרשי מלך זה משה כו׳. ומסיים אמר הקב״ה למשה. משה מלך עשיתיך ואין דרך מלך לעשות בעצמו צו לאחרים לעשות בשבילך. וזה מדרש פליאה והלא כל התורה בא בצווי משה לישראל בשם ה׳ ולמה זה נתעוררו לדרוש כן בזו הפרשה. אבל יסוד הדבר למדנו ע״י ביאור עוד מאמר ברבה פ׳ זו ואתה הקרב אליך. הה״ד לולי תורתך שעשעי אז אבדתי בעניי. בשעה שאמר הקב״ה למשה ואתה הקרב אליך הרע לו כו׳ א״ל תורה נתתי לך שאלולי היא לא בראתי עולמי כו׳. והנה לא נודע עיקר התרעומת מנ״ל לחז״ל שהרע למשה ותו אם הרע למשה אין זה פיוס כ״כ. שהרי אינו דומה כהונה שהיא לאהרן ולזרעו ואין לזולתו חלק בה משא״כ התורה ניתנה לכל ישראל כמו למשה ולזרעו אלא משה בעצמו היה שליח וזכה שתנתן ע״י. ואין זה שייכות לזרעו כלל. אלא הענין בכ״ז דיש לדעת דאור התורה שהוא תכלית המשכן ועיקר המשרה שכינה בישראל. בא בשפע ע״י אמצעות שני כלי קודש. היינו הארון והמנורה. ונשתנו פעולותיהם. הארון בא ליעוד הדברות שבכתב וגם לצווי בקבלה בע״פ וכמש״כ לעיל כ״ה כ״ב. ועדיין אין בזה כח הפלפול והחידוש שיהא אדם יכול לחדש מעצמו דבר הלכה שאינו מקובל. ולזה הכח הנפלא שנקרא תלמוד ניתן כח המנורה אשר נכלל בו שבע חכמות וכל כחות הנדרש לפלפולה ש״ת. וכ״ז נכלל בכפתורים ופרחים. עד דאי׳ בב״רפצ״א ר׳ טרפון בשעה שהיה שומע דבר מתוקן היה אומר כפתור ופרח. ושיח רבן של ישראל ללמדנו בא שמה שתלמיד ותיק מחדש דבר טוב הוא ע״י כח שנרמז בכו״פ של המנורה. וע״כ בבית שני שרבו ישיבות והעמידו תלמידים הרבה להויותדאביי ורבא שהוא התלמוד מש״ה נתחזק כח המנורה ע״י נס דחנוכה. וע״ע להלן ל״ט ל״ז שהראיתי לדעת שמרומז ג״ז בתורה. והיינו דאי׳ בברכות דנ״ז הרואה שמן זית בחלום יצפה למאור תורה שנא׳ ויקחו אליך שמן זית וגו׳:

    עוד ראוי לדעת דמשה ואהרן היו נחשבים לחברים כדתניאבאדר״נפכ״ז ומנין שכבוד חבירו יהא חביב עליו כרבו שנא׳ ויאמר אהרן אל משה בי אדוני. והלא אחיו הקטן ממנו היה אלא עשאו רבו. והטעם בזה דאע״ג שאהרן היה נצרך לגמרא דמשה מפי ה׳ מכ״מ אחר ששמע שוב לא היה נצרך לו לסברא. והיה גדול בישראל כמשה. אלא שגדולתם בתורה לא היה באופן א׳. דכח משה היה נעלה בכח הפלפול לחדש דבר מה שלא שמע בקבלה. ע״י ההכרח והפלפול. וכדאיתא בנדרים דל״ח לא ניתנה תורה אלא למשה ולזרעו ומסיק ההוא לפלפולא בעלמא. ואהרן היה נעלה בכחהסברא לדמות מילתא למילתא ולכוין האמת. וזהו עפ״י דבר ה׳ לאהרן ולהורות את בני ישראל. ועיקר ההוראה בשעתו א״א לחדש כל שאלה בפלפול אלא ע״י סברא ולדמות מילתא למילתא. ובזה הכח היה יחיד באותו דור עד שעלה פעם א׳ על משה במעשה דשעיר החטאת. וע״ע מש״כ בס׳ במדבר בפ׳ מקושש ובס׳ דברים י׳ ו׳ שהיו משה ואהרן שני ראשי סנהדראות בישראל זה בכחו וזה בכחו. ואחר שמשה היה מיוחד לכח החידוש והפלפול ע״כ נדרש לו ביחוד כח המנורה שיאיר לו הדרך להגיע לאמת. והיה ראוי שמשה יעסוק בעצמו בהכנת השמן. אלא שישראל עשו צרכי משה. כ״ז למדו חז״ל ברבה פ׳ אמור הנ״ל דלהכי כתיב ויקחו אליך היינו בשבילך. אלא מ״מ צו את בני ישראל ולא אתה בעצמך מפני שאתה מלך. זהו כלל ביאור אותו מאמר. ובפ׳ אמור הוספנו בזה לפי הענין. ומעתה אנו באים בדרך ישר לבאור מאמר חז״ל כאן שנתקשה לחז״ל סמיכות הפרשיות. וכמו שקשה לנו. והעלו חז״ל שכ״ז בא פיוס למשה. דקודם שאמר ה׳ למשה ואתה הקרב אליך וגו׳ והודיעו מעלה הפנימית שהכינו הקב״ה לקדושת העבודה הקדים ה׳ מאמר זה למשה שהוא פיוס בזה שזה החלק הנעלה של החידוש והפלפול ניתן רק למשה ולזרעו עד שאני מזהירך שאתה תצוה את בני ישראל ויקחו אליך וגו׳ שהוא שייך אך אליך. ובזה גדול כחומכח אהרן. דאע״גדכח אהרן גם בתורה רב בסברא ובהוראה מ״מ אינו דומה מעלת כח החידוש לכח ההוראה. באשר ההוראה הבאה מכח דמיון מילתא למילתא אינו מוכרח ואפשר שיבא רעהו וחקרו וידמה בא״א ובזה נתפייס משה. והיינו שהביא המדרש מקרא לולי תורתך שעשועי וגו׳ ואין פי׳ שעשעי לשון שחוק ושעשועים ח״ו אלא כמהפך ומסלסל בהם כמו אדם המשתעשע בדבר. וזהו דרך הפלפול:

     

    Extrait de l’introduction au Eyn Aya du Rav Kook :

     

     לבד הגזירות והתקנות יש גם בדרכי הדרישה שני ענינים חלוקים זה מזה שכל אחת התגברה כפי המצב הראוי לאומה מצדה ומעמדה ההוה והעתיד. בפ' "כי יפלא ממך דבר למשפט"כפול בשביל זה הלשון "ובאת אל הכהניםהלוים ואל השופט אשר יהיה בימים ההם". ואם היה דרך דרישת התורה אחד לשניהם לכהן ולשופט אין צורך בפרטן. אמנם משפטי התורה הפרטיים אפשר שיהיו נחתכים עפ"י הרוח הכללי של התורה, עפ"י כח טעמי תורה המתאים להמוסר הכללי שבתורה. אפשר ג"כ לנתח הפרטים מהכללים עפ"י דרך למוד פרטי לדון דבר מדבר מאין צורך להשקיף על כח הכללי, כי הכח הכללי צבור הוא בפרטים. מובן הדבר כי לפרט פרטי הלכות עפ"י רוח התורה הכללי צריך שיהיה הפוסק את אותן ההלכות בעל חכמה רבה שיוכל לעמוד באותם הדברים הגדולים שעקרי תורה מיוסדים עליהם, ומי שהוא פחות ממדרגה זו יוכל רק לבוא למדה זו של פסיקת הלכות פרטיות עפ"י הדברים האפשרים לדון בפרטי ההלכות מצד ערכם הפרטי. זהו החלוק שבין הכהן והשופט: הכהן הונח שיהיה איש אשר רוח אלקים בו, הכהן הגדול היה ראוי שידבר ברוח הקודש, הוא יוכל באר פרטי התורה עפ"י עקריה ורוחה הכללי ; לא כן השופט לא יבא למדה זו. אבל ידמה מלתאלמלתא, וע"פ הפרטים המפורסמים יברר דינו גם בדברים הנעלמים ממנו בדת ודין. והננו מצווים לשמע אל שניהם כפי מעמד הדור. בהיות ישראל.כוכן בטח בדד בארצו, יותר היה מוצא חפץ אם היו מתרבים אצלו מורי התורה עפ"י דרך הכהונה לבאר פרטי הלכות בהשקפה של הרוח הכללי שבתורה ולמפרש טעמא דקרא באופן ברור ומפורש. היראה שיש לחוש לטעות על הדרך הגדולה הזאת כי טעמי תורה הם דרכים גדולי ערך מאד והבא להתנהג על פיהם בפרטים עלול להכשל. אינה תופסת מקום כ"ז כשיש מרכז בטוח לאומה בעניני התורה, בי"ד הגדול שמשם תורה יוצאת לכל ישראל "המקום אשר יבחר ד' ". אמנם בהיות סכנת הגלות נשקפת לעין עמנו. אז א"א היה עוד להיות הפרטים נחתכים עפ"י עקרי יסוד התורה בסתרי טעמיה, כי אם אין שבט ומרכז בטוח עלול הדבר להיות מזה הלילה הפרת תורה, אם כל מורה יגלה פנים בתורה עפ"י יסודי עקריה ודרכיה הראשיים וביותר שמעטים המה בטבע האנושי האנשים שיוכלו לבוא למדת חכמה רבתי כזאת. ע"כ התפשט ביותר דרך השופט, המובן של הוצאת הפרטים מהכלל ע"י ערכם של הפרטים עצמם, בדרך הפשוט של המדות שהתורה נדרשת בהם. ע"כ מימות משה ועד עזרא כ"ז שלא נשתנה הכתב וכ"ז שלא הונח בטבע התורה ההכנה להגנה של גלות וטלטלה, היה מתגבר בתורה דרך הבאור, הדרישה הבנויה עפ"י ערכי הכללים שהם דומים לדרישת כל רעיון לא רק מצ"ע, כ"א מצד הרעיונות שמטבעו להוליד עפ"י דרך ישרה. כן דרישת התורה שעפ"י הכללים אין הפרטים נולדים ומסתעפים זה מזה, כ"א כולם יחד יוצאים הם מהכללים הראשיים יסודי ועקרי התורה וסתרי טעמיה הגדולים "הואיל משה באר את התורה". "עלי באר ענו לה". אמנם עזרא שכבר ראה ראשית לו להכין הגנה לתורה גם לימי הגלות הארוכה הבאה, הוא ראה כי ההרחקה הגדולה שעפ"י דרך הבאור, שהוא יוצא מתכונת המאמר הפתוח, תוכל לבוא לפי מעוט הלבבות של הדורות ודלדול האומה במניעת מרכזה וכחותיה הרוחניים והגשמיים לידי הפרת התורה. ע"כ התחיל להנהיג ביותר את דרך הפרוש, "מפורש ושום שכל" לדון בכל דבר עפ"י פרטיו ולדון את הפרטים אלו מאלו מבלי צורך ההעמקה ביסודי כללי עמקי טעמי תורה

     


    [1] Voir par exemple Bamidbar XV, 33, BamidbarXXXIII, 39 ou encore Devarim X,6

    [2] Ce que le Netsiv appelle de manière générale "les 13 principes d’herméneutique de Rabbi Yishmael"

    [3] Il est intéressant de noter ici que le Netsiv envisage clairement la possibilitéqu’il existe une manière d’interpréter la Torah qui était spécifiqueà la génération du désert. Nous essaierons de montrer d’autres exemples de cette thèse assez spécifique au Netsiv dans des parashiotultérieures.

    [4]DevarimXVII, 8

    [5] Lamentations III, 6

  • Commentaire du Netsiv- Terouma

    • Le 08/02/2016

    Cycle : la Parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Quand le don est dédié par un tiers

     

    Notre paracha débute avec l’ordre de D. de prendre un prélèvement, une offrande, afin de pouvoir construire un sanctuaire- le michkan- où la chekhina pourra résider.

    Les commentateurs mettent en relief la juxtaposition des termes « veyik’hou » - ils prendront- qui indique une prise de biens même contre le gré de l’individu et « teroumah » - une offrande, clairement un acte volontaire.

    Différentes explications sont avancées afin de concilier ce paradoxe : par exemple, en expliquant que puisque de prime abord tout appartient à D. , Il ne fait que « reprendre son bien » ou encore que le don est de fait volontaire, mais qu’une fois qu’une personne s’y est engagée, on la force à respecter sa promesse.

    Le Netsiv a une approche différente qui met en relief un aspect particulier de notre identité et individualité au sein de notre Peuple.

    Le Netsiv s’attarde d’abord sur le pronom « pour moi » Veyik’hou LI teroumah- Ils prendront une offrande POUR MOI- et nous rapporte l’explication de Rachi- que nous retrouvons dans la Me’hilta  et le Sifri: Pour moi- pour Mon nom, en l’honneur de D. donc.

    Ceci implique qu’il est nécessaire que la chose offerte à D. lui soit consacrée dès le départ. Il n’est pas possible de prendre un objet ou un matériau quelconque dédié au mondain et en faire du sacré. Plutôt, le fait même de volontairement décider de s’engager à donner une offrande lui acquiert un caractère saint, élevé.

    Il en découle donc que si l’objet en question n’a pas été offert mais pris de force, celui-ci ne pourrait donc devenir saint et deviendrait donc inapte à être utilisé pour la construction du michkan qui est pour et en l’honneur de D. . Comment donc réconcilier les termes utilisés dans l’ordre donné ?

    Chaque juif a une liberté individuelle  grâce à laquelle il décide de ses actions. Il peut effectuer-ou  pas- une mitsva. Par contre, dès lors que cet individu se trouve face à la collectivité, à une mitsva collective, entre en scène le concept de Kol Israel Arevim Zé la Zé –tous se partagent la responsabilité commune.

    La construction du michkan, tout comme celle d’une synagogue dans une localité n’en étant pas encore munie, est une obligation donnée à la communauté en son entièreté. La liberté individuelle de choisir si nous désirons ou pas nous joindre à l’effort commun se voit donc effacée. Nous y sommes astreints, et nous pouvons être forcés à donner.

    Il nous reste à résoudre le problème de consécration d’un objet pour le michkan si ceci ne peut être effectué que par le généreux donateur et que sans cette condition il devient inutilisable.

    C’est ici que le Netsiv rétabli la logique des mots du passouk : dès l’instant ou la liberté individuelle est « perdue » afin que la personne puisse faire partie intégrale du klal Israel, ce klal peut à son tour consacrer, au nom de l’individu, l’objet pris de force.

    Veyik’hou li teroumah- ils prendront, même de force, pour Moi,  une offrande d’un particulier. Et comme celui-ci fait partie de l’entité qu’est le Am Israel, uni par le commandement ayant trait à la communauté, elle pourra de par cette responsabilité commune consacrer au nom du particulier l’offrande afin qu’elle ait le caractère saint nécessaire. Le michkan pourra donc être construit, que ce soit par les offrandes données volontairement et donc consacrées par l’individu, ou prises de force et consacrées par son appartenance à la communauté.

     

    Nathalie LOEWENBERG

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    Netsiv terouma hebreunetsiv-terouma-hebreu.docx

  • Le corps contre l'âme

    • Le 03/02/2016

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Le corps contre l’âme 

    Revenir vers Dieu (se « radicaliser ») semble souvent être pris pour une partie de plaisir : il s’agirait de renouer avec ses racines, couper quelques ponts, se glisser dans le lit douillé préparé par le gourou. Cette analyse doit être largement réexaminée, pour une raison à laquelle le Netsiv va nous sensibiliser.

    La fin de la Sidra de Michpatim montre la conclusion de la révélation sinaïtique, et,  en tant que telle peut servir de modèle et de miroir à quiconque avance dans un chemin moral ou spirituel. Celle-ci se conclut sur un verset curieux : « Mais Dieu n’envoya pas son bras sur ses élus des enfants d'Israël et après avoir joui de la vision divine, ils mangèrent et burent.»[1] Dieu retient son bras momentanément, alors qu’il aurait du sévir puisque ‘les élus’ des enfants d’Israël se sont mis à manger après la grande révélation. Une lecture rapide semble montrer que Dieu se courrouce devant le manque de respect qui lui est dû : on ne devrait pas manger après la révélation ! (On se demande bien ce qu’on devrait faire d’ailleurs, les lendemains de fêtes ne sont pas toujours très heureux !)  Rien de très nouveau, ni de très glorieux. Le Netsiv va au contraire profiter de ce verset pour analyser la psychologie de la révélation, de toute révélation.

    Littéralement le verset donne l’expression « Dieu n’envoya pas son bras », c'est-à-dire sa puissance, il ne les aida pas. Toute révélation implique une forme d’écrasement devant ce qui est révélé, à la limite, cette révélation se trouve être dommageable pour la personne. Dieu aide la personne à supporter cette révélation,  en l’absence d’une telle aide, l’homme s’évanouit devant le contenu de la révélation, renoncement à sa personne. Ici, Dieu n’envoya pas son aide, l’indice de cet abandon, c’est qu’ils se mirent à manger. Pourquoi ? Ils ont trop vu, ils ont vu au-delà de leurs moyens, et ceci sans qu’une aide ne leur soit apportée pour supporter cet excès de clarté. Le résultat : leur corps s’est rebellé, cherchant à émerger devant cet excès de spiritualité.

    Avancer sur le chemin de la Torah implique de ménager un certain équilibre;à vouloir trop voir, on se perd ! Un déséquilibre des mœurs ou des habitudes en est le signe qui ne trompe pas : tout d’un coup le corps réclame son dû. 

    Cette même idée servira à expliquer la mort des premiers nés égyptiens qui ne supportèrent pas la présence divine[2] : n’étant pas disponibles à la révélation, celle-ci loin d’être indifférente s’est soldée par leur mort.

    Rachi affirme que les personnes concernées étaient les fils d’Aaron et les anciens d’Israël ceux qui a priori étaient les mieux préparés : peut-être étaient-ils ceux qui avaient le plus « soif » car les plus conscients de ce qui se déroulait sous leurs yeux et qui allait retentir pour des millénaires dans l’histoire de l’humanité. Ce jour là, Dieu les empêcha de mourir : un délai leur fut accordé. Nadav et Avihou[3], réitérèrent leur erreur lors de l’intronisation du Tabernacle, offrant un feu qui n’avait pas été ordonné. À ce moment, leur corps les lâcha.

    Paradoxalement ce sont parfois les plus grands des hommes et parfois des hommes moyens –comme les premiers nés égyptiens- qui furent foudroyés : tout est affaire de décalage entre la préparation et la révélation.

    Le cheminement de l’homme à travers son parcours moral et spirituel n’est pas un long fleuve tranquille et il convient à chaque moment de faire attention à ce que l’âme ne déborde pas le corps.

    Chabbat Chalom.

    Franck Benhamou.

    (Merci à Benjamin pour la référence et les discussions)

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    Netsiv mishpatim hebreunetsiv-mishpatim-hebreu.docx.

     


    [1]Chémot 24.11.

    [2] Voir le Netsivsur Chémot11.4 .

    [3]Vayikra 10.1 et 10.2.

  • Commentaire du Netsiv- Ythro

    • Le 27/01/2016

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*
     

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Un paradis sans morale ?

    L’éthique face aux commandements, aux fondements de la Meta-Halakha

    Juin 2009, le FBI mettait au jour un réseau de trafic d’organes et de blanchiment impliquant trois maires de l’Etat du New Jersey, des dizaines d’élus et de fonctionnaires mais aussi cinq rabbins. L’une des nombreuses polémiques suscitées en marge de cette triste affaire fit que des grandes plumes de la Hakakha furent ou se sentir interpellées : la vente d’organes est-elle licite d’après la loi juive ? Et si elle l’est, faut-il et au nom de quoi l’interdire ?

    Autrement dit, alors que le débat éthique sur la vente d’organes restait en théorie sensible et bien que de nombreux états aient légiféré dans le sens de son interdiction, une question plus générale se posait au judaïsme organisé : suffit-il d’être en conformité avec les commandements pour conduire et gouverner le monde, pour conduire et gouverner sa vie ? Questionnement qui pourrait se décliner ainsi :

    - Les commandements sont-ils tous éthiques, sont-ils l’éthique-même ? Auquel cas, aucune autre considération éthique ne saurait s’y ajouter.

    - Et s’ils ne le sont pas par nature, l’exigence de la pratique religieuse est-elle indifférente à l’éthique, c’est-à-dire au bien agir de soi à soi ou de soi à autrui ? Ce qui reviendrait à ne saluer ou ne porter secours à son voisin qu’au nom d’une éventuelle obligation religieuse et non d’une sensibilité éthique : que serait-il advenu si la Torah n’avait pas dit « Aime ton prochain comme toi-même » ou « Tu ne resteras pas attentiste face au sang de ton prochain » ?

    C’est de cette impasse, individuelle et collective, que nous extrait le Netsiv, au détour d’un commentaire sur « Honore ton père et ta mère » et la portée de sa rétribution apparente « afin que se prolongent tes jours sur la terre que l’Eternel te donne » (Heêmek Davar et note Harhev Davar sur Exode XX,12.) Dans sa pensée, il faut éclaircir et restaurer le juste rapport des commandements à l’éthique et de l’éthique aux commandements.

    Le premier mouvement de sa démonstration consiste à rompre définitivement avec la superposition et la confusion des commandements et de la préoccupation éthique, ce pour deux raisons :

    - Premièrement, les commandements ne sont pas l’éthique. Pour preuve, poursuit-il, certains commandements, tels que le génocide indifférencié d’Amalek ou la guerre totale avec les peuples de Canaan, sont manifestement, outrageusement, non éthiques. En effet, pourrions-nous souligner à notre tour, considérer une quelconque éthicité de ces « Mistvot qui n’ont pas de chance » comme aimait à les qualifier Manitou, relève d’une scandaleuse proximité avec ce que le XXème siècle garde de plus condamnable : la barbarie au nom de principes nobles et supérieurs.

    - Deuxièmement, les tentatives d’interprétations du sens des commandements, des Taâmé Hamitsvot, aussi longue et riche que soit leur histoire, sont vouées à l’échec. Elles sont au mieux une expérience interprétative nécessaire à la pratique – qui peut accomplir un geste dans l’absence totale de signification ? – tant il est vrai que l’esprit humain ne peut embrasser ni contenir toute l’émanation de la pensée divine. C’est une impossibilité ontologique.

    Mais alors, sur quoi se fonde le souci éthique et quel rôle autre joueraient les commandements vis à vis de lui ? C’est à cela que répond le deuxième mouvement de sa démonstration, appuyé sur un adage talmudique célèbre :

    « Rabbi Yohanan enseigne : si la Torah navait pas été donnée, nous nous serions enquis de la pudeur par le chat, du vol par la fourmi, de la licence par la colombe et du savoir-vivre par le coq qui processionne avant de copuler. » (Talmud de Babylone, traité‘Erouvin, 100b)

    A l’évidence, les bonnes meurs de nos amis les bêtes ne sont le fruit d’aucune éducation ni d’aucune élévation dans le raffinement. Ces comportements, de notre point de vue civilisés, sont le fait de leurs instincts, eux-mêmes sans doute forgés par l’instinct de survie. Mais quoi ! l’homme en souffrance de Torah observe ces comportements animaliers. Et lui, doté d’entendement et contraint par la loi naturelle qui semble présider depuis la Genèse dans un monde sans Torah, développe, aiguise son sens éthique au spectacle de la nature. Même si la nature donne par ailleurs le spectacle de l’arbitraire et de la barbarie - Darwin y aurait laissé sa propre foi -, l’homme souverainement en quête choisit les évènements qui inspireront sa réflexion éthique : vaut-il mieux la pudeur que l’impudeur, l’honnêteté que le vol, la galanterie que la rustrerie etc. ?

    Il en est de même, conclut le Netsiv, dans notre rapport aux commandements. De la même manière que nous serions infondés à attendre de la nature qu’elle offrît l’image d’une civilisation, nous serions tout autant infondés à exiger des commandements qu’ils obéissent à des principes éthiques. Ils sont souverains et autonomes comme l’est notre recherche éthique. Il nous appartient seulement de déceler en eux ce qui, du point de vue de notre jugement, de notre pondération, nous apparait éthique. Ainsi, dans une lecture globale qui ne s’intéresse pas aux détails et autres subtilités juridiques, « Honore ton père et ta mère » nous éveille si nécessaire à la reconnaissance, à la gratitude, au sens de notre mémoire intime et à la solidarité intergénérationnelle.

    En démontrant quel rapport entretiennent éthique et commandements, le Netsiv ne fait pas que mettre un terme à l’interprétation diplomatique, politiquement correcte, polissée et complaisante des commandements tout en mettant en accusation le ritualisme exclusif de la conformité. Il fait émerger un véritable continent : puisque c’est un impératif qui précède la Torah, puisque l’exigence éthique est restaurée dans sa souveraineté, comment produire un discours éthique ? Un discours qui guette, certes, la conformité aux commandement, mais au-delà trouve en eux le cas échéant, comme au spectacle du monde, une source d’inspiration. Un discours qui soit capable d’énoncer des préférences et des normes (qui ne soient pas rangées parmi les commandements bibliques.) Un discours de haute créativité, qui vise à la fois la bonne gouvernance de l’individu par lui-même et celle du plus grand nombre, société humaine ou état. Un discours qui, dépassant les vides juridiques de la Halakha, la prolonge sans la trahir. Ce continent serait-il celui de la Meta-halakha ?

     

    Nissim SULTAN

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)
     

  • Commentaire du Netsiv- Béchala'h

    • Le 19/01/2016

          Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

     Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    "Dites nous ce dont vous avez besoin on vous dira comment vous en passer !"

     

    Il y a un sujet qui, proportionnellement au reste de la Parashat Bechala’h, est assez étendu. C’est le sujet des plaintes émises par le Peuple juif (ou dans certains cas une partie). En effet, les enfants d’Israël manifestent à plusieurs reprises leur mécontentement devant Moshé Rabbénou. Le Netsiv relève les différences qui existent entre chaque manifestation,  et commente leurs particularités. J’aimerais vous faire part de ses remarques sur l’une d’entre elles.

    ''וילונו כל עדת בני ישראל על משה ועל אהרן במדבר. ויאמרו אלהם בני ישראל מי יתן מותנו ביד השם בארץ מצרים בשבתנו על סיר הבשר באכלנו לחם לשבע כי הוצאתם אתנו אל המדבר הזה להמית את כל הקהל הזה ברעב.(שמות ט''ז ב,ג)'' 

    Toute l’assemblée des enfants d’Israël s’est révoltée contre Moshé et Aharon dans le désert. Les enfants d’Israël leur ont dit : « Il aurait été préférable de mourir par la main de Dieu en Égypte lorsque nous étions assis autour d’un plat de viande en mangeant du pain à satiété car vous nous avez sorti vers ce désert pour faire mourir de faim toute cette assemblée». (Shemot 16, 2-3)

                Le Netsiv compare cette situation avec des révoltes apparues antérieurement dans notre Parasha[1] :

    Alors que dans notre contexte, c’est l’ensemble du Peuple qui se lève, face à Moshé et Aharon, ils n’ont réellement plus de nourriture pour subsister et ils déclarent qu’il aurait été préférable de mourir en Égypte. Précédemment, ce n’était qu’une minorité du Peuple qui s’est révoltée, les rebelles réclamaient alors de l’eau uniquement par peur qu’il n’y en ait plus à la suite du voyage. Leur cible n’était que Moshé et leur discours était différent : ils prétextaient alors qu’il  aurait été préférable de rester des esclaves asservis par Pharaon non qu’ « il aurait été préférable de mourir par la main de Dieu en Egypte ».

                Pourquoi dans notre passage, Aharon subit-il  lui aussi les critiques du Peuple ? Quelle est la logique de vouloir mourir en Égypte ? Autant y rester esclaves ! Comment se fait-il qu’ici tout le Peuple se rallie à la cause ?

                Selon le Netsiv, lorsque les vivres nécessaires pour subsister disparurent, un doute s’empara des Bnei Israël. Ils ne remettaient plus en question ni Dieu ni son messager Moshé sur la véracité de la parole divine ; comme il est écrit ''ויאמינו בהשם ובמשה עבדו'' ‘’Ils crurent en Dieu et en Moshé son serviteur’’. Cependant, le doute persistait sur un autre point.

                Comme Yona Ghertman l’a relevé la semaine passée, il y avait trois classes au sein des Bnei Israël : Ceux qui voulaient sortir d’Égypte ; ceux qui ont suivi quand même malgré leur mécréance ; et ceux qui refusaient catégoriquement de sortir. Selon le Midrash Dieu a anéanti ces derniers par la peste en profitant de la plaie de l’obscurité.

    La grande majorité du Peuple sorti d’Égypte était composée de la seconde catégorie : ceux qui n’étaient pas pieux mais voulaient tout-de-même sortir. Lorsque le pain est venu à manquer, ils ont pensé que Dieu ne voulait faire sortir qu’une élite, et que le manque de nourritures était dû à cela. Le pain serait en réalité dédié à l’élite du Peuple, ceux-là même qui voulaient sortir d’Égypte pour respecter l’ordre de Dieu, et qui étaient représentés par Moshé ET Aharon. Ils craignaient s’être laissé amadouer pour sortir, et désormais le peuple entier allait payer cette erreur par le manque de nourriture.

    La cible de cette manifestation est bien Moshé et Aharon qui ont voulu faire sortir TOUT le Peuple. L’élite étant une minorité, c’est bien toute l’assemblée qui se plaint. Ils prétendent qu’ils auraient du mourir par la main de Dieu en Égypte lorsqu’Il a tué ceux qui refusaient de sortir.

    ---

    Dans son introduction à l’Emek Davar, le Netsiv  s’étonne d’un passage de la Guemara dans le traité Nedarim qui définit la Torah comme étant un ‘’chant’’. Quel rapport existe-t-il entre la forme littéraire de la Torah et un chant poétique ? Il répond que dans un chant (ou une poésie), les thèmes ne sont pas explicites. Pour les comprendre, il faut s’aider de notes et d’explications ; une strophe faisant référence à une notion, une autre strophe à une autre notion etc.[2]

    Dans son travail sur le ‘Houmash, le Netsiv commente chaque sujet de la Torah en les transformant en grands thèmes qui nous permettent de lire les problématiques actuelles à chaque génération. C’est pourquoi je proposerais de nous interroger sur l’actualité des différentes plaintes manifestées par les Bnei-Israël dans notre Parasha et celle que nous venons d’analyser dans ce présent article avec, en particulier sa solution : la manne, le pain céleste.

     

    Akiva ZYZEK

     

     

    * R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Beshalah hebreubeshalah-hebreu.pdf : le commentaire du Netsiv en hébreu

     

    [1] Shemot XIV,12 et Shemot XV, 24

    [2] Introduction à l’Emek Davar lettre Guimel.

     

     

  • Paracha Bo : Qui sort vraiment d'Egypte ?

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a
     

    Bo : Qui sort vraiment d’Egypte ?

     

    Après la description de la plaie des ténèbres frappant l’Egypte, le verset précise : « Et pour tout Israël il y eut de la lumière dans leurs demeures » (Shemot 11, 23). Sur place le Netsiv s’interroge : était-il nécessaire de préciser que les Hébreux furent épargnés, alors que ce fut le cas pour d’autres plaies telles la peste et les bêtes sauvages, sans que cela ne soit mentionné ?[1]

    Selon lui, cette formulation insistante est une allusion à la mort des mécréants de la génération, car selon le Midrash, Dieu profita de cette plaie pour faire mourir les Bné-Israël qui ne voulaient pas sortir d’Egypte[2]. La « lumière » a une double signification : Tout d’abord, la mort des impies est une source de réjouissance pour les justes[3]. Mais aussi, la lumière symbolise le soulagement que les Egyptiens ne virent pas ce règlement de comptes interne[4].

    Ce Midrash selon lequel Dieu empêcha les impies de sortir d’Egypte lors de la plaie des ténèbres interpelle. À la suite de la Parasha, Dieu demande aux Hébreux de placer le sang de l’agneau sacrifié à l’entrée de leurs maisons, ce qui constitue une preuve de leur volonté de partir. Pourquoi ne pas frapper alors les récalcitrants, en même temps que les premiers-nés égyptiens ? Par ailleurs, si les mécréants sont morts, comment expliquer la survie de Datan et Aviram, représentants déjà en Egypte –selon le Midrash- les mécréants par excellence[5] ?

    Selon le Netsiv, il faut distinguer entre deux types d’impies : ceux qui refusaient de  quitter l’Egypte, et ceux qui acceptaient le principe de la sortie d’Egypte malgré leur impiété[6]. Seuls les premiers furent frappés durant la plaie des ténèbres. Assurément d’après cette explication, Datan et Aviram faisaient partie de ceux qui désiraient tout-de-même quitter l’Egypte. Néanmoins, l’ange destructeur qui s’attaquait aux premiers-nés de l’Egypte était également susceptible de s’en prendre aux impies Hébreux. Parmi ces derniers, beaucoup furent sauvés car ils appartenaient à une famille dont le patriarche avait pris la décision de mettre le sang  à l’entrée de la maison familiale. Aussi le mérite des anciens permit de protéger ceux qui ne méritaient pas tant de poursuivre l’aventure[7]

    On peut supposer que la distinction établie par le Netsiv entre les impies refusant de quitter l’Egypte et les autres est liée au rapport à la nation, du moins à ses prémices. Un « peuple parfait » composé uniquement de justes est une utopie. L’impiété n’est pas une raison suffisante pour exclure totalement le membre de l’ensemble du corps. Cependant celui qui refuse de prendre part à la constitution de la nation ne mérite pas d’être libéré, car la libération concerne précisément une collectivité dont il nie l’existence.  

    Faut-il voir dans cette théorie une réhabilitation des juifs laïcs désireux de raviver la flamme d’une nation juive à la fin du 19ème siècle ? Le Netsiv semble voir un mérite chez les Hébreux impies acceptant le principe de la sortie d’Egypte, simplement car ils manifestent un sentiment national. Faut-il y voir un lien avec son soutien du mouvement des « amants de Sion » à la même époque? Cela est probable. La libération de ces Hébreux impies apporta-t-elle quelque-chose de positif aux Bné-Israël dans le Désert ? La suite du déroulement de l’Exode peut nous en faire douter[8]… Mais cela est une autre question, dépassant le cadre des commentaires du Netsiv sur la Parasha Bo que nous entendons présenter dans ces lignes.

     

    Yona GHERTMAN

     

     

    * R. Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Annexe : Lettre du Netsiv aux "amants de Sion" : hovevey-tsion.pdf

     


    [1] Par ailleurs, s’il s’agissait simplement de montrer que la plaie des ténèbres n’a pas atteint les hébreux, pourquoi insister sur « la lumière », qui dénote un aspect positif, n’aurait-il pas été plus neutre de mentionner simplement « l’absence d’obscurité » dans les demeures des Bné-Israël ?

    [2] Rapporté par Rachi sur ce verset.

    [3] Le Netsiv défend cette idée en renvoyant à Devarim 11, 6 où il est question des réjouissances au moment de la mort de Datan et Aviram. On peut toutefois comparer ce postulat à l’histoire de la femme de R. Meïr apprenant à son mari qu’il vaut mieux prier pour le repentir de l’impie que pour sa mort (Berakhot 10a). Dans ce cas, faut-il vraiment se réjouir de la mort alors que celle-ci apparaît comme l’échec du repentir ?

    [4] Voir la Mekhilta au début de Béchala’h et Rachi sur notre verset.

    [5] Voir le Netsiv sur Shemot 2, 13-14.

    [6] Commentaires du Netsiv sur Shemot 12, 3 et 23.

    [7] Commentaire du Netsiv sur Chemot 12, 27. Voir également le commentaire sur le verset 23.

    [8]Le parcours de Datan et Aviram est d’ailleurs l’illustration du contraire.

  • Commentaire du Netsiv- Vaera

    • Le 06/01/2016

    Cycle : la parasha d'après le Netsiv*

     

    Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

     

    Vaéra : Les quatre verbes de la délivrance

     

    La parasha Va’era commence par l’annonce de la délivrance du peuple Juif.

    Cette annonce est –selon la lecture de nos Sages- répétée à travers quatre verbes qui se prolongent sur un cinquième, le Netsiv relèvera cette particularité.

    On distingue traditionnellement ces quatre verbes comme étant :

    • Ve-hotseti – VI, 6
    • Ve-itzaleti – VI, 6
    • Ve-ga’alti  - VI, 6
    • Ve-lakah’ti – VI, 7

    Le commentaire du Netsiv va s’attacher à expliquer la particularité de chacun de ces verbes, la raison pour laquelle nos Sages ont décidé de les « célébrer » à travers quatre coupes de vin, et le pourquoi de ce cinquième verbe –ou cinquième verre- qui prend un statut particulier : si le cinquième verre est une mitzva, il n’est pas une obligation…

    Dans son commentaire sur le verset VI, 6, le Netsiv propose la démarche suivante : les quatre étapes énumérées décrivent le plan divin pour faire évoluer progressivement un peuple d’esclaves, épaissi par quatre cents de labeur a un peuple capable d’écouter la voix divine un peu plus d’une année plus tard, au pied du mont Sinaï.

    Ainsi, le premier verbe « Et Je vais vous extraire de la souffrance de l’Egypte » est une première étape, la plus basique : la fin du labeur, la fin du travail de forçats. Le Netsi’v identifie cette étape au verset VIII, 28, après la plaie de la vermine[1].

    Le deuxième verbe « Je vais vous délivrer de la servitude » décrit une seconde étape qui s’achève au verset IX, 35. À partir de maintenant, Par’o bien que ne libérant pas encore les hébreux, les affranchit de leur rôle d’esclaves et leur reconnait une entité propre[2].

    À partir de ce moment, le peuple, affranchi, peut enfin s’élever et s’affiner pour arriver à la troisième étape – troisième verbe « Je vais les délivrer » : la sortie d’Egypte proprement dite, atteinte avec l’ultime plaie, la mort des premiers-nés.

    Le quatrième verbe « Et Je vous adopterai comme peuple » se réalise au Mont Sinaï, lors du don de la Torah.

    Quatre verbes, quatre étapes qui décrivent la longue et lente progression d’un peuple depuis le statut d’esclave jusqu'au statut d’un peuple apte à écouter la parole divine.

    Quatre verbes, quatre étapes, mais pourquoi quatre verres de vin ? Demande le Netsiv. C’est que le vin est l’aliment qui symbolise mieux le changement : il rend joyeux ou triste, gai ou mélancolique ; bref, il fait changer d’état…

    Qu’en est-il du cinquième verbe, cinquième verre ? Le Netsiv l’identifie dans le verset VI, 7 « Et vous saurez que Je suis l’Eternel votre Dieu »[3]. Voilà la cinquième étape : la connaissance de Dieu. Et pour le Netsiv, ce cinquième verbe est bien rendu par l’aspect non-obligatoire du cinquième verre : s’il est une mitzva d’atteindre ce niveau, il ne saurait être obligatoire : on ne peut avoir une telle exigence de tout un peuple, cela reste l’apanage d’une élite !

     

    Benjamin SZNAJDER

     

    * R. Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

    * Retrouvez le texte en PDF accompagné du commentaire du Netsiv en hébreu :

    Netsiv vaeranetsiv-vaera.pdf

     

    [1] Le Netsiv identifie cet évènement au verset VIII, 28 car à partir de ce moment-là, l’entêtement de Par’o se résume à ne pas renvoyer les Hebreux d’Egypte. Il fait, de plus, remarquer que cet enseignement est corroboré par le Talmud dans Rosh-hashana 11.

    [2] Le Netsiv le déduit d’une lecture attentive des versets. À partir de ce verset, Par’o ne parle plus du « peuple » de manière indéterminée, mais des hébreux, les désignant nommément.

    [3] Il est, en cela, en opposition avec les Rishonim, qui identifient la cinquième étape dans le verbe par la déclaration « Et Je vous amènerai dans ma terre » au verset VI, 8.