Le droit talmudique
Le droit talmudique
par François-Xavier Licari
On ne peut que saluer l’initiative de François-Xavier Licari, Maître de Conférences à l’Université de Lorraine, dont les compétences en droit comparé avaient déjà été soulignées sur ce site, au sujet d’un article de 2013 sur le thème de « l’arbitrage rabbinique ».
Par la publication de ce livre chez Dalloz dans la collection « Connaissance du droit », l’auteur permet de mettre en avant le judaïsme en tant que législation profonde et actuelle, alors que ce droit est trop souvent ignoré dans les facultés françaises. Ce que souligne l’auteur à juste titre dans son introduction.
La tâche est rude. Traiter du « droit talmudique » en un seul ouvrage relève du défi. L’auteur réussit à parcourir divers sujets qui illustrent bien la spécificité de ce droit peu connu de l'univers français. L'ouvrage explique ainsi quelle est la différence entre le droit talmudique et le droit israélien, les différentes catégories talmudiques ("droit monétaire", "permis et interdit", etc.); les prérogatives du législateur rabbinique (takanote et guezérote), les sources du droit (coutume, pssak, etc.); mais aussi l'évolution légale avec la codification et la portée de l'autorité halakhique; ou encore l'interaction entre le droit rabbinique et le droit de l'état d'accueil ("la loi du royaume est la loi").
Le format oblige toutefois a faire des choix, qu'on peut d'ailleurs questionner : alors que certains sujets à la limite de la sociologie trouvent leur place dans l’ouvrage, à l’instar des descriptions de la Réforme et de l’orthodoxie juive ; et que d’autres sujets très pointus, tel « l’arbitrage rabbinique », sont également traités, d’autres domaines fondamentaux sont occultés.
Manquent ainsi les éléments de la procédure judiciaire, la composition du Beth-Din (tribunal), le rôle des témoins, ou encore les différentes peines applicables en cas de transgression de la loi. Au sein des sujets traités également, on regrette de ne pas trouver une réflexion sur la place du dogme dans la loi, et de facto sur les limites au pluralisme légal. Car si F-X Licari reste fidèle à sa vocation universitaire en citant les différents ouvrages liés –de près ou de loin- au droit talmudique, en identifiant l’auteur par le contenu et non par ce qu’il représente, il passe de la sorte à côté d’un questionnement important sur les limites de la loi. Et effectivement dans la Bibliographie, se côtoient des Rabbins se rattachant –ou ayant été rattachés- au mouvement Conservative, tels Weiss-Halivni ou Louis Jacob, et des auteurs orthodoxes ayant une vision différente de la législation juive, percevant le respect de la loi des autres comme un rejet pur et simple.
Dans le contenu de l’ouvrage, les sujets présentés le sont le plus souvent avec rigueur, bien qu’on puisse regretter parfois que quelques références soient manquantes. L’ouvrage est érudit, les textes talmudiques sont apportés, et permettent au lecteur de se faire une bonne idée des sujets traités, de s’y référer, puis de les approfondir s’il le désire. L’accent est mis justement sur l’aspect légal, l'auteur précisant explicitement que le judaïsme n’est ni complètement une religion ni complètement une loi, et proposant à cette occasion une réflexion intéressante sur l’origine de la distinction entre « droit religieux » et droit « non-religieux », s’interrogeant d’ailleurs sur la pertinence de cette distinction.
On peut toutefois s’étonner de ne trouver quasiment aucune mention des recherches contemporaines françaises en «droit talmudique ». Si l’auteur explique pourquoi il choisit cette appellation au lieu de « droit hébraïque »[1], il omet de préciser que la matière est pourtant nommée ainsi dans les Universités françaises, dans lesquelles il existe effectivement une chaire de « droit hébraïque ».
Mais surtout, aucun des travaux des Rabbins-juristes évoluant en France, pourtant si chers au professeur Raphaël Draï z.l, n’est mentionné. On peut surtout reprocher à l’auteur de ne pas avoir cité l’ouvrage du Rabbin Jacky Milewsky reprenant sa thèse de doctorat sur les treize règles d’interprétation du texte biblique (J. Milewski, Ethique, droit et Judaïsme, Lichma 2010), alors qu’un chapitre entier y est consacré.
Le chemin pour concilier le monde universitaire et le monde rabbinique français dans le domaine du droit rabbinique risque d’être encore long. Gageons néanmoins que la diffusion de cet ouvrage aux étudiants puisse éveiller des consciences et des vocations, faisant découvrir qu’à coté du « livre » et de « l’université » existe le monde du « texte » et du « Beth haMidrash ».
Editeur : Dalloz
Nombre de pages : 193
[1] Le meilleur terme est plutôt « droit rabbinique », comme je l’explique dans mon ouvrage Y. Ghertman, La loi juive dans tous ses états, de l’actualité du droit rabbinique à notre époque, Lichma 2013, p.16.
Date de dernière mise à jour : 31/12/2015
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