La pensée du retour, par Benny Lévy
Benny Lévy
La Pensée du Retour après Rosenzweig et Levinas
Une critique de M. Franck Benhamou
Polyphonie, voilà le mot qui sort lorsqu’on tourne (avec regret !) la dernière page de la « La pensée du retour » de Benny Lévy. Mot qui -à coup sûr- serait récusé par l’auteur : car la pensée qui s’y déploie se veut régulière, continue, docte. Pourtant, pour qui fréquente le texte juif, c’est ce mot qui vient à l’esprit : croisement de textes formant un réseau dense et discontinu, mais dont les mailles ne forment que rarement une étoffe. Talmud, Midrash, Kabala, philosophie, Schelling, autobiographie, Jérusalem, sionisme, Lévinas…
Comment s’y retrouver ? Grâce à un véritable travail de mise en scène réalisé par les différents transcripteurs de ce séminaire. La voix de Benny Lévy bruisse à travers chaque ligne ; le mouvement de la parole est sans arrêt interrompu par des « interventions » souvent jugées « intempestives » : les élèves chahutent, rechignent, ne lisent pas assez ; mais on s’aperçoit rapidement que les jeux entre le maitre et les élèves donnent toute la densité à ce livre : le lecteur est sommé de se positionner, de mettre en perspective, de donner du souffle à un enseignement qui voudrait être ‘magistral’. Et peu à peu, on ‘apprend’ Benny Lévy, on attend sa réaction, on la pressent.
Les thèses sont massives : Lévinas laïcise le discours juif pour le rendre universel et philosophiquement pertinent, Lévy veut retrouver le tempo juif qui est (selon lui) le véritable moteur de la pensée lévinassienne ; voilà pour le quatrième de couverture ; mais à travers cette lecture méticuleuse, Lévy s’attaque à tous les problèmes de la modernité juive, et plus on avance dans le livre, plus on est étonné de l’audace de lecture, de la profondeur du regard, du refus des concessions. Livre de maturité, d’un auteur qui n’a plus rien à prouver : à l’image du Sartre qu’il a connu qui avouait en fin de vie que certains de ses thèmes n’étaient que des effets de mode. Testament.
Au fur et à mesure que Lévy déploie pour lui et ses auditeurs sa pensée, ce sont toutes les grandes idoles modernes qui sont détruites : le silence de Dieu après Auschwitz, la souffrance, le mal…Qui ose parler de Théodicée après le Candide de Voltaire ? Pourtant Lévy prend le problème dans toute son envergure, et aide le lecteur à se tirer de ses propres paresses, de ses connivences, ses demi-aveux.
Mais d’autres voix se font entendre : d’abord les commentaires personnels de Benny Lévy des textes talmudiques ; ensuite on est heureux aussi de relire Lévinas, ou plutôt de trouver un autre Lévinas que celui « du visage de l’autre » et de l’universalisme bon teint.
Je sais qu’en écrivant un tel billet je ne vais pas me faire d’amis : d’aucuns m’en voudront car de ce livre on ne peut retirer quelques bons mots pour briller en public ; certaines thèses sont scandaleuses et c’est toute une critique de la modernité qui se joue ; mais cette critique dérange, et oblige le lecteur à penser différemment, à perdre l’innocence. Texte bruyant de toutes ses voix qui pourtant ne se brouillent jamais.
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