Agounot : « les femmes entravées »
Agounot : « les femmes entravées »
Problèmes et solutions en droit matrimonial hébraïque
par Daniel Dahan
Description de l'ouvrage et critique
par Franck Benhamou
Les Agounot ce sont avant tout les femmes dont le mari est présumé décédé et qui ne peuvent prétendre à se remarier en l’absence de certitude concernant la mort de leur époux. Cela concerne les maris présumés morts à la guerre ou lors d'événements comme ceux du 11 septembre 2001, dans lesquels huit hommes juifs mariés ont trouvé la mort. Le problème traité dans ce livre a donné lieu à une très abondante littérature rabbinique depuis deux mille ans. Cependant, par abus de langage -et par souci de dramatisation aussi- le terme est employé pour les femmes dont le mari refuse de donner le guett (acte de divorce religieux) alors même qu’elles sont divorcées civilement.
Le livre de Daniel Dahan comporte deux parties : « Formation et dissolution du couple » et « Clauses résolutoires ». Les cent trente premières pages donnent un panorama du mariage juif, traitant des kidouchine (fiançailles), des nissouim (mariage) et des divorces. Cette première partie ne constitue qu’une mise au point et introduit le problème des agounot, présentant quelques cas concrets stimulant le lecteur et montrant quelques réflexions à leur sujet.
Mais le cœur du sujet est traité dans la seconde partie, à travers la notion de « clauses résolutoires ». Il s'agit d'avenants émis lors des kidouchine (fiançailles) ou des nissouin (mariage), permettant d’anticiper l’apparition du problème dès l’union des époux. De nombreuses solutions ont été proposées, en particulier par les rabbins français dès le début du vingtième siècle, ce qui n’a pas manqué de soulever des controverses à travers le monde. Sous cet aspect le livre présente une page de l'histoire du rabbinat français tout à fait méconnue. Le problème se présente d'abord en Algérie où le décret Crémieux déclare Français les juifs indigènes. Si un homme marié religieusement, se sépare alors de sa femme, il peut se remarier civilement sans être inquiété par son premier mariage qui n’est alors plus reconnu par les autorités françaises. L’Algérie devient un "laboratoire" pour aborder les nouveaux cas qui se multiplient avec l'augmentation des divorces.
L’ouvrage présenté est courageux à double titre : il n’est pas aisé de faire partager au public francophone des pans entiers d'une littérature rabbinique assez ardue, et généralement écrite en hébreu. L’auteur fait donc un véritable travail de traduction des concepts talmudiques. Il se sert pour cela de sa connaissance du droit, dans ce livre qui n'est autre que sa thèse de Doctorat dans ce domaine. Même si les juristes se retrouveront dans ce livre, gageons qu’il sera également instructif pour le talmudiste qui retrouvera aisément les concepts derrière les mots juridiques. Une telle aisance dans les deux langues permet à l’auteur de ne pas sacrifier à la rigueur. C’est à ce second titre que ce livre est courageux : il ne cède en rien à la facilité, et les arguments sont avancés avec une rigueur courante dans les cénacles des yéchivot de bon niveau, mais auquel le lectorat français intéressé par le judaïsme n’est pas habitué. Sous ce second aspect, le lecteur curieux d’avoir un aperçu du travail d’élaboration du droit juif y trouvera un exemple très significatif.
Un troisième point me semble faire de cet ouvrage un livre qui fait date dans l’édition des textes à caractère juif en France, c’est le sujet lui-même. Le lecteur est introduit dans le thème avec des cas concrets, et une conceptualisation progressive, qui donne l’impression –une fois le livre refermé- que l’on est « rentré dans un sujet », qu’on possède les éléments indispensables pour une compréhension plus approfondie.
Je ne saurais que recommander cet ouvrage qui est aussi intéressant que novateur.
Éditeur :Presses Universitaires d'Aix-Marseille
Nombre de pages : 274
Date de dernière mise à jour : 05/07/2021
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