Vayigach, une parole de reproche, de colère et de tristesse
- Par yona-ghertman
- Le 23/12/2020
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Cycle : La Paracha selon le Torah-Temima
Vayigach : Une parole de reproche, de colère et de détresse
לעילוי נשמת אב' מור' חיים בן צב' ז''ל
La paracha Vayigach commence par le magnifique plaidoyer de Judah : « Alors Judah s’avança vers lui [Joseph], en disant : « De grâce, seigneur ! que ton serviteur fasse entendre une parole aux oreilles de mon seigneur et que ta colère n’éclate pas contre ton serviteur ! Car tu es l’égal de Pharaon. […] Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant ? Pourrais-je voir la douleur qui accablerait mon père ? » (Beréchit, Ch. 44, 18-34).
A ces mots, Joseph ne peut retenir son émotion. Il fait sortir ses serviteurs et dit à ses frères : « Je suis Joseph ; mon père vit-il encore ? » (Beréchit, Ch. 45, 3)[i]. Mais ses frères ne peuvent lui répondre « car il les avait frappés de stupeur » (Beréchit, Ch. 45, 3)[ii].
On pourrait penser que c’est la présence de celui qu’il pensait disparu par leur faute, et devenu vice-roi d’Egypte, qui est à l’origine de ce saisissement.
Or, nos Maitres, cités par l’auteur du Torah Temimah, expliquent que ce qui les a fait défaillir ce sont les paroles de Joseph, qui seraient des paroles de « réprimande, de reproche ».
« Malheur à nous si, sous le reproche d’un homme de chair et de sang il est écrit « ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur », qu’en sera-t-il sous le reproche du Saint Béni Soit Il ? »[iii].
Le Rav Baroukh Epstein s’interroge : « en quoi ces mots, « mon père est-il toujours vivant ? » sont-ils des mots de réprimande ? »[iv].
Il faut, explique-t-il, le comprendre ainsi : avec la détresse que les frères ont causé à leur père en lui faisant croire que Joseph était mort, comment pourrait-il être encore en vie ?
Ce sont donc des paroles de réprimande et de colère.
Mais cette explication ne satisfait pas tout à fait le Rav Baroukh Epstein. Il lui préfère le pchat tel que formulé par Rachi.« Mon père est-il toujours en vie ? » est une véritable question. Mais comment la comprendre, les frères n’ont-ils pas constamment fait référenceà leur père, sans jamais laisser supposer qu’il était mort ?
Tout simplement, explique-t-il, les frères n’ont-ils pas déjà menti en affirmant que Joseph était mort ? Peut-être est l’inverse, leur père est bien mort et ils mentent à Joseph de peur de sa réaction, comment savoir ?
Il s’agit alors de paroles de détresse et d’angoisse.
On retrouve cette même explication, un peu plus loin, quand les frères disent à leur père que Joseph est vivant. Son cœur ralentit dit la Torah car il ne les croyait pas (Beréchit, Ch. 45, 26). Pourquoi ? Car, nos Maitres, cités par l’auteur du Torah Temimah, l’expliquent : « telle est la punition du menteur, qui, même quand il dit la vérité, n’est pas cru »[v].
Là, encore, il y a eu mensonge et le fait de ne plus savoir si on peut faire confiance en la parole de l’autre, de ne pas pouvoir la croire,crée ladétresse et la souffrance.
Situation d’autant plus douloureuse que, comme l’explique le Rav Sacks z’’l, pendant tout le temps oùJoseph s’est trouvé en Egypte, il a pu nourrir des interrogations à propos des intentions de son père. N’est-ce pas lui qui l’aenvoyé à la rencontre de ses frères, ce qui a abouti à sa vente ? Aurait-il été abandonné par son père ? C’est ainsi que les commentateurs comprennent le nom qu’il donne à son fils : « Joseph appela le premier né Manassé « Car Dieu m’a fait oublier toutes mes tribulations et toute la maison de mon père » (Beréchit, Ch. 41, 51)[vi]. Le plus important dans l'esprit de Joseph était le désir d'oublier le passé, pas seulement la conduite de ses frères envers lui, mais "toute la maison de mon père". Pourquoi, sinon qu'il a associé «tous mes problèmes » non seulement à ses frères mais aussi à son père Jacob ».[vii]
Et, c’est en entendant le discours de Juda, qu’il comprend qu’il n’en est rien.Le désir de retrouver son père bien aimé éclate alors dans ces paroles « mon père est-il encore en vie ? ». L’urgence de cette parole est motivée par l’angoisse que, finalement, il serait peut-être trop tard.
C’est sans doute cette parole,tout à la fois, empreinte de colère et de détresse qui saisit les frères et fait défaillir leur âme.
Et c’est la parole apaisante de Joseph : « Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays ; car c’est pour le salut que le Seigneur m’y a envoyé avant vous » (Beréchit, Ch 45, 5) qui répare ce trouble physique et restaure le calme. De même, c’estla parole apaisante des frères« Alors ils lui répétèrent toutes les paroles que Joseph leur avait adressées et il vit les voitures que Joseph avait envoyées pour l’emmener » Beréchit, Ch. 45, 27) qui fait revenir à lui Jacob.
Une parole apaisante pour réparer les troubles que les mensonges ont créée.
Puissions-nous,à notre tour, être doués de cette parole réparatrice.
Noémi Leben
[i]וְלֹֽא־יָכֹ֨ל יוֹסֵ֜ף לְהִתְאַפֵּ֗ק לְכֹ֤ל הַנִּצָּבִים֙ עָלָ֔יווַיִּקְרָ֕א הוֹצִ֥יאוּ כָל־אִ֖ישׁ מֵעָלָ֑י וְלֹא־עָ֤מַדאִישׁ֙ אִתּ֔וֹ בְּהִתְוַדַּ֥ע יוֹסֵ֖ף אֶל־אֶחָֽיו׃
וַיִּתֵּ֥ן אֶת־קֹל֖וֹ בִּבְכִ֑י וַיִּשְׁמְע֣וּ מִצְרַ֔יִם וַיִּשְׁמַ֖ע בֵּ֥ית פַּרְעֹֽה׃
[ii]וַיֹּ֨אמֶר יוֹסֵ֤ף אֶל־אֶחָיו֙ אֲנִ֣י יוֹסֵ֔ף הַע֥וֹד אָבִ֖י חָ֑י וְלֹֽא־יָכְל֤וּ אֶחָיו֙ לַעֲנ֣וֹת אֹת֔וֹ כִּ֥י נִבְהֲל֖וּ מִפָּנָֽיו׃
[iii]רבי אלעזר כי מטי להאי קרא הוי בכי, אמר, ומה תוכחה של בשר ודם כתיב בה ולא יכלו אחיו לענות אותו כי נבהלו מפניו, תוכחה של הקב"ה על אחת כמה וכמה
[iv]ובמדרשים איתא בלשון זה, אוי לנו מיום הדין אוי לנו מיום התוכחה, יוסף קטן שבשבטים הי' ולא היו יכולים אחיו לעמוד בתוכתתו דכתיב ולא יכלו אחיו לענות אותו כי נבהלו מפניו, וכשיבא הקב"ה ויוכיח לכל אחד ואחד על אחת כמה וכמה, ע"כ, ואינו מבואר איפה מרומז כאן שהוכיחם יוסף.
ונראה בשנדקדק בכלל בשאלת יוסף העוד אבי חי, מה שאלה היא זו, והלא מכל המשך דבריהם אתו ראה וידע כי יעקב חי, וגם מה שייכות שאלה זו לאמרו אני יוסף.
ולכן י"ל דמה שאמר העוד אבי חי הוא כמתמיה ואומר, האמנם הי' בו כח לסבול משא יגונו וצערו מאבודתי עד שעוד חי הוא, והנה במעט דברים אלו די להם להאחים לקוט בפניהם על כל המעשה אשר עשו, ומבואר דבדברים אלו אמנם הוכיחם תוכחה נמרצה הראויה לעשות שרט בנפש החייבת בה, ודו"ק. –
וע"ד הפשט יש לכוין טעם השאלה העוד אבי חי, כי אחרי שראה שכחשו לו במציאות שלו [של יוסף] שאמרו עליו שהוא מת וכמש"כ רש"י בריש פרשה זו (פ' כ') שהי' להם טעם בזה, שוב לא הי' בטוח למה שאמרו עד כה שאביהם עודנו חי, שאולי הי' להם טעם גם בזה, אולי כדי שיעורר יוסף רחמים על זקנתו או טעם אחר, ולכן עתה בהתודעו שאלם עליו שיגידו האמת. .
(חגיגה ד' ב')
[v] וַיַּגִּ֨דוּ ל֜וֹ לֵאמֹ֗ר ע֚וֹד יוֹסֵ֣ף חַ֔י וְכִֽי־ה֥וּא מֹשֵׁ֖ל בְּכָל־אֶ֣רֶץ מִצְרָ֑יִם וַיָּ֣פָג לִבּ֔וֹ כִּ֥י לֹא־הֶאֱמִ֖ין לָהֶֽם׃ א"ר שמעון, כך ענשו של בדאי שאפילו אומר אמת אין שומעין לו, שכן מצינו בבניו של יעקב, שנאמר [פ' וישב] ויכירה ויאמר כתונת בני היא, לפיכך באחרונה אע"פ שדברו אמת לא האמין להם, שנאמר ויפג לבו כי לא האמין להם
[vi]וַיִּקְרָ֥א יוֹסֵ֛ף אֶת־שֵׁ֥ם הַבְּכ֖וֹר מְנַשֶּׁ֑ה כִּֽי־נַשַּׁ֤נִי אֱלֹהִים֙ אֶת־כָּל־עֲמָלִ֔י וְאֵ֖ת כָּל־בֵּ֥ית אָבִֽי׃
[vii] Rabbi Jonathan Sacks, Covenant and conversation, 2009, p. 319
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