Les conséquences de la cupidité (vayétsé)
- Par yona-ghertman
- Le 03/11/2021
- Dans Parasha
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Les conséquences de la cupidité
sur la confiance des enfants envers les parents
Paracha Vayétsé
« Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine» (Béréchit 31, 14-15)
Contraint d’habiter chez son oncle Lavan (le frère de Rivka), Ya’akov s’aperçoit vite de la fourberie de ce dernier. Alors qu’il consent à lui accorder sa fille cadette (Ra’hel) comme épouse, en échange d’un travail gratuit durant sept années, il met en place un stratagème pour que Ya’akov épouse finalement l’aînée (Léa). Ya’akov doit donc travailler sept années supplémentaires pour se marier avec l’élue de son cœur. Après avoir épousé les deux sœurs au terme de quatorze années de labeur, Lavan fait tout pour que Ya’akov, ses filles, ses servantes et les enfants nés entre temps, restent habiter chez lui. Son patrimoine ne fait qu’augmenter grâce à la bénédiction divine reposant sur son neveu et gendre. Lorsque Ya’akov comprend définitivement que le temps de partir et de donner sa propre direction à son foyer est arrivé, il s’adresse alors à Ra’hel et Léa en leur expliquant que ce départ de chez leur père - nécessairement créateur de conflits - est pour lui la seule alternative.
Ces dernières écoutent son argumentaire, et prennent clairement position pour leur mari, et donc contre leur père : « Ra’hel et Léa répondirent : Avons-nous encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas considérées comme des étrangères à ses yeux ? Car il nous a vendues et il a consumé notre patrimoine».
Comment une relation entre père et filles peut-elle atteindre un tel point de non-retour ? N’est-ce pas dramatique et glaçant d’imaginer des filles percevoir ainsi leur père ? Il est d’ailleurs particulièrement frappant que Lavan lui-même semble garder une forte affection pour ses filles. En effet, après avoir poursuivi Ya’akov, et avoir aperçu Hachem le mettant en garde de ne pas l’attaquer, Lavan concède de le laisser partir et conclut un pacte avec lui. Quelle est alors sa condition exigée de son côté ? Le texte répond explicitement : « Que Dieu regarde entre toi et moi, alors que nous serons cachés l’un à l’autre. Si tu humiliais mes filles ; si tu associais d’autres épouses à mes filles… nul n’est avec nous ; mais vois ! Dieu est témoin entre toi et moi ! » (31, 49-50). On s’interroge à la lecture de ces versets : Et si la cupidité n’était pas la seule raison de Lavan dans son refus de laisser partir Ya’akov ?
Allons un peu plus loin, en revenant vers la première rencontre entre Ra’hel et Ya’akov. Après avoir parlé avec son cousin tout récemment rencontré, Ra’hel court avertir son père à propos de cette rencontre (29, 12). Rachi sur place explique : « Etant donné que sa mère était morte, elle ne pouvait le dire qu’à lui ». Habituellement, une fille est proche de sa mère. Cependant, lorsque celle-ci n’est plus là, c’est au père d’assumer désormais ce rôle. Indubitablement, un père élevant seul ses enfants va se rapprocher d’eux. En effet, plus on s’investit pour quelqu’un, plus on l’affectionne. Ainsi, contraint d’assurer son rôle et celui de la mère de ses filles, Lavan a dû nécessairement s’investir plus que la normale. Il est donc profondément attaché à ses filles, il se préoccupe de leur devenir.
En retournant de nouveau lors de l’épisode relatant la fuite de Ya’akov, on constate que cette préoccupation pour l’autre n’est pas qu’à sens unique. En effet, on apprend dans le texte que Ra’hel a volé des « idoles» dans la maison de son père (31, 19). Les commentateurs s’interrogent évidemment sur un tel acte de la part d’une femme ayant épousé la vocation monothéiste des patriarches. La réponse apportée par Rachi attire une nouvelle fois notre attention : « Elle avait l’intention d’éloigner son père de l’idolâtrie ». Remarquable ! Bien qu’ayant décidé de choisir son mari plutôt que son père, Ra’hel continue à se préoccuper de ce dernier ! Elle veut qu’il fasse téchouva ; en d’autres termes, elle désire encore son bien.
D’après ce que nous avons vu précédemment, tout cela semble parfaitement logique : Il y a dans cette famille uni-parentale une affection mutuelle entre le père et ses filles. Lavan veut le meilleur pour elles, et elles aussi, désirent le meilleur pour leur père.
Dès lors, la question de départ nous interpelle encore davantage : Comment les filles ont-elles pu finalement couper les liens avec leur père ? C’est lui qui s’est occupé d’elles, il y a un amour mutuel entre elles et lui… Comment la famille est-elle arrivée à un tel point de non-retour ?!
C’est que Ra’hel n’est pas la seule à « courir ». On voit également Lavan courir, mais pour des raisons différentes. Une première fois, alors que Rivka était encore jeune-fille, et qu’Eli’ézer (le serviteur d’Abraham) était allé chercher une femme pour Itz’hak, il lui avait donné des bijoux de la part de son maître. Apprenant l’arrivée d’Eli’ézer, Lavan court alors à sa rencontre. Rachi commente sur place : « Pourquoi court-t-il et à quel propos court-t-il ? Ce fut, lorsqu’il vit la boucle de nez, il dit [en lui-même] : Cet homme est riche. Aussi tourna-t-il ses yeux vers l’argent ». Puis, quelques années plus tard, alors que Ya’akov arrive chez lui, Lavan court à sa rencontre (29, 13). Rachi commente alors dans le même ordre d’idées : « [Lavan] pensait qu’il portait de l’argent, car le serviteur de la maison vint ici avec dix chameaux bien chargés [d’argent et de bijoux] ».
Lavan ne change pas avec l’âge. Le trait le caractérisant est la cupidité. Il aime l’argent. Il court après l’argent. Toute sa manière de vivre est guidée par un seul but directeur : Gagner plus, et toujours plus. C’est pour cela qu’il essaye de faire travailler Ya’akov gratuitement le plus longtemps possible, et qu’il ne veut pas le laisser partir.
Néanmoins, nous l’avons montré : Si Lavan est un homme qui aime l’argent, il est aussi un père qui aime ses filles. Dans ce cas, pourquoi jouer avec leurs sentiments en échangeant Ra’hel avec Léa lors des premières noces ?
C’est que Lavan aime mal ses filles. Il est tellement obsédé par sa course vers l’argent qu’il ne se rend même pas compte du mal qu’il leur fait. Il tient à elles et il veut leur bonheur, comme le démontre son pacte final avec Ya’akov. Un drame se joue ici : Malgré l’amour réciproque entre Lavan et ses filles, son obsession pour l’argent l’aveugle tellement, qu’il adopte un comportement indigne, provoquant l’éloignement définitif de ses filles.
C’est un mal intemporel que souligne la Torah en filagramme : Les parents peuvent « tuer » leurs enfants à cause de leur obsession pour l’argent. Ils sont tellement obsédés par le profit – notamment car la société pousse dans ce sens – qu’ils ne se rendent pas compte du mal qu’ils font à leur progéniture. Cela ne signifie pas que ces parents n’aiment pas leurs enfants, mais qu’ils les aiment mal. Or, la conséquence de mal aimer son enfant peut être terrible. L’enfant ressent lorsque ses parents font passer leur intérêt personnel avant le sien. A long terme, une déception grandit en lui et l’éloigne peu à peu. Dans les cas extrêmes, la suite sera la coupure des relations de la part des enfants. Le pire est que beaucoup de parents vont justifier leur course effrénée en se disant qu’ils font cela « pour la famille ». Alors que de leur côté, les enfants ressentent l’absence du père, toujours occupé à ses affaires, comme une plaie ne cessant de s’agrandir.
Ainsi, Lavan apparaît précisément comme l’exemple à ne pas suivre pour les parents. Il ne suffit pas d’aimer ses enfants, il faut aussi bien les aimer, ce qui est tout un programme…
Yona GHERTMAN
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