La pureté de l'acte

Cycle : La parasha d’après le Netsiv*

 

Naftali tzvi iehuda berlin ha natziv 1a

 

« La pureté de l’acte »

 

 

ParashatPekudei (Exode 38 :21 – 40 :38)

 

Le Mishkan (Tabernacle), qu’est-ce donc ?

La parasha pekoudei nous amène à la fin du sefer Shemot en répétant certaines étapes clés de la construction du Mishkan.

Selon le Netsiv sur les derniers versets de la parasha, le mot Mishkan est l’expression de la résidence de Dieu dans cet édifice (mishkan, de la racine hébraïque S.H.K.N – résider).

La Torah répéterait-elle, gratuitement, cet épisode qui nous a occupés lors des sections précédentes ?

Toute cette construction n’est là que pour mériter de faire descendre cette présence dans le monde !

Comment cela fonctionne-t-il ? Comment Dieu, dans Son immensité, peut-il choisir une résidence matérielle, qui plus est, façonnée par la main de l’homme ?

Essayons d’analyser cette question au travers de quelques indices laissés par le Netsiv tout au long de son commentaire.

Chemot 39:5

« La ceinture servant à le fixer faisait partie de son tissu, était ouvragée de même : or, azur, pourpre, écarlate et lin retors, comme l'Éternel l'avait prescrit à Moïse. »

« Comme l’Eternel l’avait prescrit à Moïse » - Le Netsiv enseigne que cette locution semble superflue car dans les sections précédentes elle ne s’y trouve pas. Elle indique un changement depuis l’ordre donné par Dieu :

C’est Betsalel (l’artisan en chef du Mishkan) qui a fait cela selon sa propre compréhension de l’ordre originel. Ce que Betsalel n’a pas entendu directement de la bouche de Moshé, il l’a fait selon sa propre compréhension et de sa propre initiative. La torah atteste ici que cette compréhension est le reflet scrupuleux du détail de l’ordre donné à Moshé !

Chemot 39:7

« On les ajusta sur les épaulières de l'éphod, comme pierres de souvenir pour les Israélites, ainsi que l'Éternel l'avait ordonné à Moïse »

Dans le verset précédent (Ex. 39 : 6) le Netsiv dit qu’au moment où l’ordre a été donnée la conception des pierres était englobée dans celle du ephod alors qu’ici nous avons des versets spécifiques pour ces pierres. Et il ajoute :

Ces pierres éveillent le mérite lié au service divin et amènent la subsistance pour Israël.

Néanmoins, lors des différentes étapes dans le désert, les enfants d’Israël recevaient leur subsistance de leur attachement et leur investissement dans la Torah.

Betsalel, qui était lui-même attaché corps et âme à la Torah, a forgé un nouveau souvenir ('zikaron' dans le langage du Netsiv) dans la subsistance liée à l’investissement dans la Torah. Cette innovation dans la compréhension des « pierres de souvenir » (qui n’existaient donc pas au moment de la réception de l’ordre), nous la devons à Betsalel ; ce verset a été écrit pour lui et vient donc caractériser un peu plus son œuvre.

Notons que ce verset se termine lui aussi par « comme l’Eternel l’avait ordonné à Moïse » !

Chemot 39:21

« On assujettit le pectoral en joignant ses anneaux à ceux de l'éphod par un cordon d'azur, afin que le pectoral soit maintenu sur la ceinture de l'éphod et n'y vacille point, ainsi que l'Éternel l'avait prescrit à Moïse. »

Là encore, le Netsiv poursuit son idée : « Comme l’Eternel l’avait prescrit à Moïse » est là pour marquer une nouveauté, agréée par Dieu lui-même, dans la conception de l’acte.

Quelle est la spécificité de l’acte de Betsalel ? Pour le comprendre, lisons le commentaire du Netsiv sur Exode 19 : 2.  Y est citée l’histoire bien connue de Rabbi Hiya, tirée du traité Talmud (Baba Metsia 85b) :

Alors que Rabbi Hanina et Rabbi Hiya étaient en discussion, Rabbi Hanina dit à Rabbi Hiya : Si, que Dieu préserve, la Torah venait à être oubliée d’Israël je la restaurerai par mon propre argumentaire, ce à quoi, Rabbi Hiya lui répondit : Entrerais-tu en discussion avec moi qui ai accompli que la Torah ne soit pas oubliée d’Israel ? Qu’ai-je fait ? J’ai planté moi-même du lin, pour en faire des cordes, qui m’ont permis de faire des filets, qui m’ont permis d’attraper des cerfs dont j’ai donné la chair à des orphelins, et dont j’ai préparé des rouleaux de Torah à partir de leur peau sur lesquels j’ai écrit les cinq livres de Moshé. Je suis ensuite venu dans une ville pour enseigner ces cinq livres à cinq élèves et les six ordres de la Mishna a six autres élèves en leur demandant de se les enseigner respectivement, et c’est ainsi que j’ai préservé Israel de l’oubli de la Torah. […] Combien sont grands les actes de Rabbi Hiya ! »

Le Maharcha précise dans son commentaire sur cette guemara que si tous ces actes n’étaient pas vraiment nécessaires (il aurait pu acheter des cerfs, ou bien même des filets déjà prêts), Rabbi Hiya a voulu graver un caractère de sainteté et d’exclusivité (tout est fait leshem shamayim, pour la gloire du Ciel) dans l’ensemble de son œuvre, afin que son enseignement devienne le reflet de ce caractère sacré. Combien est grande une œuvre entièrement dévouée à Dieu, parfaitement « leshem shamayim », un enseignement pétri d’une intention pure ne peut que mener à une réalisation parfaite.

Voilà le but véritable de Betsalel, forger un caractère sacré dans la demeure de Dieu.

 

Chemot 25:8

« Et ils me construiront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d'eux »

Rachi sur ce verset dit : « ils me construiront un sanctuaire » ; qu’ils fassent, pour mon nom, une maison de sainteté.

Grâce à sa compréhension profonde des exigences de cette mission, Betsalel a voulu graver, comme Rabbi Hiya plus tard, une sainteté intrinsèque à l’édifice du Tabernacle. C’est cette sainteté qui permet de comprendre le choix de Dieu de venir résider dans une demeure physique, parmi les hommes.

C’est selon moi, la clé de compréhension du commentaire du Netsiv sur Shemot 39, 32 :

« Ainsi fut terminé tout le travail du tabernacle de la Tente d'assignation ; les Israélites l'avaient exécuté en agissant, en tout point, selon ce que l'Éternel avait enjoint à Moïse. »

Les enfants d’Israel ressentaient un désir intense de vivre l’établissement de la Présence Divine dans le Tabernacle. On aurait pu croire que ce désir les pousse à vouloir faire plus que ce qui était demandé. La Torah témoigne ici, qu’ils se sont restreints à faire uniquement « ce que l’Eternel avait enjoint à Moïse ».

L’acte lui-même était limité à l’ordre, mais l’investissement et la sainteté investis dans cette construction ont été entiers, voilà comment faire résider la Gloire de Dieu !

Plaise à Dieu que nous puissions nous aussi, faire briller dans chacun de nos actes, une sainteté profonde et véritable ainsi qu’une intention pure afin de prouver l’authenticité de notre démarche, ainsi nous aurons nous aussi le mérite de voir la présence divine résider parmi nous.

Raphael Abitbol

 

*  R. Naftali Tsvi Yéhouda Berlin de Volozhin (1813-1893)

 

 

 

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