L'ambition d'Israël

L’ambition d’Israël

 

Le Shoul’han Aroukh rapporte la coutume de consommer le soir de Roch Hachana une tête d’agneau en prononçant au préalable la formule suivante : « Que nous soyons à la tête et non à la queue » (OH 584, 2). En réalité toute tête d’animal fait l’affaire car la pratique est surtout symbolique. Il s’agit avant tout de rappeler les bénédictions de la Torah applicables à la collectivité d’Israël lorsque ses membres respectent la loi de Dieu : « L’Eternel te mettra à la tête et non à la queue, tu ne seras jamais qu’au dessus et tu ne seras pas en dessous, si du moins tu écoutes les commandements de l’Eternel ton Dieu que je te prescris aujourd’hui d’observer et d’accomplir » (Devarim 28, 13). La bénédiction s’inverse en malédiction lorsque les mitsvote sont transgressées: « L’étranger qui sera chez toi s’élèvera de plus en plus au-dessus de toi, et toi, tu descendras de plus en plus (…). C’est lui qui sera à la tête, et toi tu seras à la queue » (Devarim 28, 43-44).

 

Agneau1

Deux oppositions sont mises en évidences dans ces versets : haut/bas et tête/queue. La première est facilement compréhensible car elle rappelle une préoccupation basique de tout peuple : l’autonomie. Le maître peut se montrer bienveillant envers le serviteur, et même choisir de lui accorder des droits semblables aux siens, mais il aura toujours l’avantage de l’autonomie de décision, certains diront, de « l’autodétermination ».

La seconde opposition est plus complexe. Les nations sont comparées au corps d’un animal. Pourquoi la comparaison ne se fait-elle pas plutôt avec l’homme, le « talon » remplaçant alors la « queue » ? C’est qu’il n’est pas question une nouvelle fois d’un rapport vertical, mais plutôt d’une relation horizontale du type meneur/suiveur[1]. Quel est celui qui montre l’exemple, qui prend de facto une place de modèle par rapport à l’autre, le captivant par la luminosité qu’il renvoie ?

La réponse apportée par le texte est sans appel : Quand Israël respecte la volonté de Dieu, il devient alors le meneur, celui qui influence positivement les autres. Quand le peuple ne la respecte pas, il redevient alors un pion fondu dans la masse, suivant béatement le troupeau et sa direction qu’il ne distingue même pas.

Queue de renard

Qu’est-il question de mener ? À quelle direction la tête sert-elle ? Nous touchons à la difficulté de cette sentence prononcée à Roch Hachana. Chacun d’entre-nous prononce la même phrase mais l’intention n’est pas la même, à l’instar de nos ambitions… Voilà qu’on nous vante les mérites « d’Israël, la seule démocratie du Moyen-Orient »… Est-ce ça l’ambition à laquelle nous aspirons : imiter des modèles politiques non-inspirés de la Torah en s’imaginant ainsi « à la tête » ? Ou bien faut-il chercher du côté du développement des nouvelles technologies, dont certains se servent pour attirer les juifs de Diaspora vers le nouvel Eldorado ?  Devons-nous irrémédiablement reproduire la schizophrénie des Hébreux en Egypte qui tenaient à conserver leur spécificité par le nom, l’habillement et la langue (Vayikra Rabba 32, 4) tout en ayant mis fin à la pratique de la brith-mila « pour faire comme les Egyptiens » (Chemote Rabba 1, 8) ? Il est incohérent d’imiter l’autre tout en affirmant sa particularité, mais plus encore, il est présomptueux de vouloir être le meneur de celui que l’on copie.

La tête est le centre de l’intelligence. La Torah témoigne qu’en fonction de l’attitude d’Israël, ce centre peut se déplacer. Les versets admettent que les véritables meneurs intellectuels peuvent porter en étendard une philosophie totalement déconnectée de l’intelligence de nos lois. Le juif peut bien siéger à l’Académie française, le savoir talmudique n’en reste pas moins perçu comme un joyeux folklore ou un odieux obscurantisme.

Le souhait inverse est celui que nous formulons à Roch Hachana. Il n’est en aucun cas subjectif. L’ambition recherchée n’est pas individuelle. En ce jour nous ne recherchons ni la tête des renards, ni même celle des lions, pourtant exaltée en d’autres circonstances (Avot 4, 15).

Dans son Sheer Israël, le Netsiv de Volozhin[2] oppose l’attitude assimilatrice des hébreux en Egypte à celle d’Abraham, à la fois séparé des autres et tourné vers eux ; non dans une attitude de plagiat, mais dans une posture de diffusion altruiste. La coutume rapportée par le Shoul’han Aroukh veut que la tête à priori utilisée soit celle d’un bélier, en souvenir de la ligature d’Itz’hak… C’est qu’à ce moment Abraham se fit pour le monde l’intermédiaire d’un message nouveau sur le rapport à Dieu. À la manière de la tête qui transmet des informations au reste du corps, il diffusa une croyance lumineuse tout autour de lui. En ce sens, Israël est le digne descendant d’Abraham… Du moins tel est le souhait que nous émettons à Roch Hachana.

My ambition in life

 

Yona GHERTMAN



[1] Je remercie Elicha Touati pour cette idée d’une double opposition dans le verset entre maître/serviteur, et meneur/suiveur.

[2] R.  Naphtali Tsvi Yehouda Berlin (Russie, 1817-1893). L’ouvrage Sheer Israël est une dissertation sur l’antisémitisme. 

Roch Hachana

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