paracha metsora tabou
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Cachez-moi ce vice que je ne saurais voir
- Par yona-ghertman
- Le 30/03/2014
- 3 commentaires
Cachez-moi ce vice que je ne saurais voir !
(parasha Metsora)
Les Sages du Talmud et du Midrash ont vu dans les plaies frappant le Metsora l'indice d'une dégénérescence morale, repoussant sans ambigüité la corrélation entre la tsaraat et la lèpre, ou toute autre maladie contagieuse.
Jusqu'ici rien d'étonnant. Il n'est pas rare que les Sages se libèrent du sens littéral (pchat) en s'appuyant sur une exégèse des versets leur permettant de dégager un message profond, parfois même à l'opposé du sens premier (drash). Cependant lorsqu'on étudie le texte de la Torah avec ses commentateurs, on retrouve bien souvent des spécialistes du pchat qui tentent d'expliquer le texte en le remettant dans son contexte, sans mentionner son interprétation talmudique ou midrashique. Ce sont les pachtanim. Parmi les plus connus nous pouvons citer Ibn Ezra, le Rachbam ou le Sforno. Or en l'espèce, ces derniers acceptent la lecture midrashique de notre Parasha[1]. Même le Rambam, dont la réputation de rationaliste n'est plus à faire, admet explicitement que la tsaraat est la conséquence du lachon hara, la médisance, du moins lorsqu'elle s'étend aux vêtements et aux maisons après avoir frappé l'homme[2].
Le processus de purification du metsora se fait par l'intermédiaire du Cohen, de même la déclaration de son impureté s'établit-elle par l'intermédiaire de ce dernier. Le Cohen est associé au culte, il n'est pas un médecin. D'ailleurs à aucun moment la Torah ne fait-elle référence à certaines maladies contagieuses qui rendraient l'homme impur. Une personne malade peut rentrer dans le Temple. Un metsora ne le peut pas. Autant d'indices, et nous ne sommes pas exclusifs, qui indiquent que la cause du mal est plus profonde, qu'il faut la chercher à l'intérieur de la personne touchée et non dans des éléments lui étant extérieurs.
Tout se joue autour de cette impureté qui éloigne, et de ce processus de purification qui rapproche. De manière générale, l'impureté n'est pas liée à la faute. Elle peut l'être, mais telle n'est pas son explication première. Celui ayant été en contact avec un cadavre devient impur. Il n'a pourtant commis aucune transgression. Il existe également certains cas, à propos du metsora, dans lesquels aucune faute n'a été commise. En effet la Michna enseigne que tous les juifs peuvent être atteints par la plaie de tsaraat (Negaïm 3, 1). La Guemara précise que même un enfant d'un jour est concerné (TB Arakhin 3a). Il existe donc plusieurs degrés de touma (impureté), profondément différents les uns des autres.
La différence ne s'exprime pas uniquement dans la cause de l'impureté, mais aussi dans ses conséquences. Certes, l'individu frappé d'une impureté doit s'éloigner, mais l'éloignement du metsora est total. Il ne peut même plus rester avec le reste du peuple. Le verset vient explicitement indiquer sa mise à l'écart (Vayikra 13, 46). Les Sages du Talmud y voient une nouvelle fois une cause morale : "Puisqu'il a séparé par la médisance l'homme de sa femme et l'homme de son ami, lui aussi sera séparé [des autres]" (TB Arakhin 16b).
La question s'impose alors d'elle-même : Pourquoi l'enfant metsora est-il lui aussi mis à l'écart, alors que son jeune âge ne lui permet pas de médire et de semer les graines de la discorde au sein de la société ?
Il nous semble qu'il faille chercher la réponse dans le regard des autres. Même s'il n'a rien fait, l'enfant metsora, par son aspect physique, rappelle la cause de la faute. La société se couvre d'un voile opaque, quasi-totalitaire, afin d'éviter l'implosion. Ce qui rappelle la médisance, et au-delà la fracture sociale, doit être mis à l'écart. On se détache du mal pour ne pas s'en imprégner, comme si la moindre allusion aux vices moraux provoquait dans l'esprit humain un désir de s'y soumettre.
La fabrication de tabous sert de protection primaire. On n'y pense pas donc on ne fait pas. Une telle vision du monde correspond-t-elle à une société évoluée, exigeant de ses membres une remise en question constante ? Nous ne le pensons pas. Depuis la destruction du Temple de Jérusalem, la loi du metsora ne s'applique plus. Cette situation historique peut être perçue de deux manières différentes :
-On peut considérer que la proximité avec Dieu n'est plus la même qu'auparavant. Le degré moral du peuple ayant diminué, il serait illusoire d'autant insister sur les vices moraux, alors que des transgressions flagrantes se produisent continuellement chez les Bné-Israël.
-Mais on peut aussi considérer que Dieu accorde une nouvelle autonomie à son peuple, semblable à celle que les Sages ont acquis par rapport aux prophètes. La réflexion et l'interprétation ont remplacé la répétition d'ordres directs. La complexité constructive a remplacé un mode de communication sommes-toutes assez primaire entre Dieu et son peuple. De la même manière, la disparition de la loi du metsora a fait exploser les tabous. Le perturbateur n'est plus mis à l'écart, nous le côtoyons et nous devons nous confronter à lui. Il nous rappelle nos vices et nous lui rappelons les siens. L'exercice est aujourd'hui bien plus périlleux, mais il a ce mérite de faire de nous des personnes pensantes.
Yona GHERTMAN
[1] Le Rachbam et le Sforno sont explicites dans leurs commentaires sur Vayikra 13, 2. Dans son commentaire sur le chapitre 13, Ibn Ezra présente d’abord la tsaraat comme une maladie, avant de se ranger à la thèse talmudique dans son commentaire sur le verset 45, au sujet des plaies s’étendant aux habits. Notons tout de même que le Ralbag fait exception, puisqu’il n’aborde le sujet qu’en termes médicaux, même en ce qui concerne les plaies sur les habits et les maisons.
[2] Guide 3, 47 ; commentaire sur la michna Néguaïm 12, 5 et fin de Hilkhote toumat tsaraat.