Les gardiens de la cité

Réédition de l’autobiographie de Ruth BLAU :

 Les gardiens de la cité, histoire d’une guerre sainte

 

Editions Hachkafa

 

Les gardiens de la cite

 

En 1978, paraissait aux éditions Flammarion l’autobiographie d’une native du Nord de la France habitant alors à Jérusalem : Ruth BLAU. Ce nom était connu du public en raison d’une affaire ayant défrayé la chronique dans les années 60 : « l’affaire Yosselé ». Des juifs originaires de Russie avaient confié leur enfant – Yosselé – aux parents du mari qui étaient des juifs très pratiquants. Lors de leur venue dans l’état d’Israël, ils voulurent récupérer l’enfant, mais les grands-parents s’y opposèrent car ce dernier risquait de se retrouver dans un milieu ultra-laïc.

Ruth Blau aida à cacher l’enfant pour le soustraire à la garde de ses parents laïcs. La traque dura longtemps, impliquant les services secrets israéliens, allant jusqu’à opérer directement en France. Aux yeux des médias, Ruth Blau fut considérée comme une juive orthodoxe fanatique qui participa à un enlèvement d’enfant. Dans cet ouvrage, elle décrit sa version des faits d’une manière intéressante et argumentée, ce qui éveilla l’intérêt des lecteurs lors de la sortie du livre et participa en partie à sa réhabilitation[1].

Précisions bien que l’intérêt de cet ouvrage dépasse de loin le récit de l’affaire Yosselé. C’est avant tout un parcours de vie atypique imposant le respect :

Une femme française ayant fait partie de la résistance décide de se convertir au début des années 50. Dirigée un peu par hasard vers un kibouts, puis vers le mouvement juif libéral parisien, elle fait ses débuts dans le judaïsme en fréquentant des sympathisants du tout nouvel Etat d’Israël et des juifs portés davantage sur le culturel que le cultuel. Puis, progressivement, elle se rapproche d’un judaïsme plus authentique, et refait par la suite une conversion auprès de la communauté orthodoxe parisienne, avec le  Rav Rubinstein de la rue Pavée.

Dans cette première partie du livre, Ruth Blau critique accessoirement l’attitude du Consistoire à son égard, qui ne la reconnaît pas en raison de sa conversion libérale, mais dont les membres n’ont pas eux-mêmes une observance stricte de la Halakha (loi juive)[2]. Elle se sent finalement plus à l’aise dans des milieux religieux, notamment à Aix-les-Bains où elle fréquente Rav Chaykin et Rav Gershon Cahen ; puis plus tard à Méa-Shéarim, le quartier le plus orthodoxe de Jérusalem.

Cependant, il n’y a pas d’angélisme dans la plume de l’auteur. Elle fut aussi l’objet de beaucoup de suspicions et de critiques dans les milieux très religieux, qu’elle admire et dont elle loue le mode de vie, tout en décrivant des systèmes très fermés, dans lesquels le regard sur « l’autre » n’a rien à envier aux querelles internes.

Que l’on partage ou non les vues et les actions de Ruth Blau, on ne peut s’empêcher de discerner une véritable sincérité dans ce qu’elle écrit. Elle recherche le « émete » (vérité) et s’offusque de ce qui s’en éloigne. C’est ainsi qu’elle devient rapidement très critique vis-à-vis de l’Etat d’Israël, dont les principes fondateurs vont à l’encontre des lois de la Torah[3], et qui se comporte d’une manière très dure avec les Palestiniens. Elle finira d’ailleurs par se marier avec Rav Amram Blau, dirigeant spirituel des « Nétouré-Karta »[4], des juifs habitant Jérusalem bien avant l’arrivée des pionniers sionistes, et qui vécurent  l’arrivée de ces derniers comme une colonisation.

Elle décrit longuement la vie des membres de ce mouvement, bien loin des clichés que l’on trouve dans les médias communautaires de nos jours[5]. Ruth Blau décrit au contraire le profond respect qui liait le Rav Amran Blau à des personnalités rabbiniques de premier plan, parmi lesquelles le Rabbi de Satmar et le ‘Hazon Ich. Ce dernier allant même rendre visite au Rav Blau lors de son incarcération (en raison d’une manifestation contre des mesures antireligieuses du gouvernement israélien). Elle raconte également l’hospitalité constante dont elle devint le pilier à Méa-Shéarim, envers toutes sortes de personnes, des ‘hassidim aux juifs laïcs et en passant par des non-juifs.

Cet ouvrage est le récit d’une femme forte qui n’avait pas peur de se battre pour ses positions et d’aller au bout de ses idéaux. Religieusement parlant, il permet de mettre l’accent sur une critique religieuse du sionisme totalement compatible avec l’amour de la terre d’Israël – qui animait Ruth Blau – l’amour de tous les juifs, et le combat contre toutes les injustices, quelle que soit la religion des victimes.

On ne peut que saluer l’initiative des éditions Hachkafa, qui rééditent cet ouvrage, en y ajoutant une préface et des photos illustrant les figures historiques mentionnées dans l’autobiographie. En outre, l’ouvrage était jusqu’à présent en rupture de stock chez Flammarion, et seuls quelques exemplaires se trouvaient sur Amazon autour des 200 euros. Cette réédition permet désormais de l’obtenir à un prix beaucoup plus abordable (17 euros).

Citons pour conclure les propos de l’éditeur, tout en invitant le lecteur de ces lignes à se procurer l’ouvrage au plus vite :

« Histoire d’une conversion et du combat pour l’observance stricte de la Loi juive, histoire d’une vie mouvementée, passionnée, dont certains épisodes constituent un véritable suspense policier, ce livre est également une dénonciation des manœuvres entreprises dans l’état d’Israël contre la religion. En cela, et à une époque où les religions institutionnelles sont remises en cause, il a valeur d’exemple. Dans la foi ardente qu’il manifeste, ce témoignage d’exception nous présente peut-être, à sa façon, une réponse à l’une des interrogations majeures de notre temps ».

 

Yona GHERTMAN


[1] Cf. E. A. EL Maleh, dans Le Monde du 30 Mars 1979 : « Le combat singulier d’une néophyte, une critique radicale du sionisme » ; et dans Archives des sciences sociales des religions 1979 48-2, p.256 : J. Gutwirth « Les gardiens de la cité, histoire d’une guerre sainte [recension] ».

[2] Il est question dans ces lignes du judaïsme consistorial des années 50.

[3] A ce propos, on pourrait avancer que Ruth Blau écrit avec le cœur ce que le Rabbi de Satmar – R. Yoël Tetelbaum – écrivait avec un nombre impressionnant d’arguments textuels dans son ouvrage phare, le Vayoël Moshé (disponible uniquement en hébreu).

[4] Littéralement, les « gardiens de la cité », selon Eikha Rabbati Peti’ha 2.

[5]  Le Rav Amram Blau resta toujours en bons termes avec la ‘éda ‘harédite’ de Jérusalem, comportant tous les Rabbanim associés au milieu orthodoxe (‘harédi), bien que certains membres des Nétouré Karta appelaient à la scission totale.  Quelques temps après sa mort, le mouvement se sépara en trois parties distinctes, dont une – minoritaire – faisant régulièrement la Une des médias pour son soutien bruyant à tous les ennemis de l’état d’Israël. Même les ‘Hassidim de Satmar, qui restèrent profondément antisionistes après la mort de R. Yoël Tetelblaum, se désolidarisèrent totalement de cette faction en 2006, lorsque certains de ces membres participèrent en Iran à une conférence négationniste.  Cependant, ces derniers restent minoritaires aujourd'hui encore au sein des Nétouré Karta.

 

Date de dernière mise à jour : 19/11/2023

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